Aller au contenu principal

Les organisations de la société civile sont confrontées à un défi permanent, celui défendre la protection et la promotion des droits numériques. Comment faire en sorte que l’égalité soit la référence de base ?

Le Centre pour les technologies de l’information et le développement (CITAD), membre d’APC basé au Nigeria, a récemment adopté à cet égard une approche en trois volets : autonomiser la société civile (en particulier les femmes), sensibiliser le public et soutenir directement les efforts de plaidoyer. Tout au long de son projet intitulé «  Enhancing the Flourishing of Digital Rights in Nigeria » (« Renforcer l’épanouissement des droits numériques au Nigeria ») pour lequel il a obtenu le soutien d’une subvention secondaire d’APC entre novembre 2022 et mai 2023, le CITAD a renforcé les capacités de la société civile à éliminer la fracture numérique. « Nous avons réalisé que la question ne se limitait pas juste à l’accès aux technologies. Même si on fournit des compétences, même si on fournit du matériel, de graves problèmes continuent à se présenter » a déclaré Y. Z. Y’au, le directeur exécutif du CITAD.

Le CITAD a organisé de nombreux types d’activités, notamment :

  • Une formation pour les dirigeants de la société civile et les femmes journalistes
  • Une rencontre nationale des parties prenantes des droits numériques au Nigeria
  • Des espaces mensuels de débats sur Twitter/X sur une durée de six mois
  • La cinquième École de l’internet féministe de Bauchi (BaFIS)
  • Huit conférences de presse mensuelles
  • Six forums de discussion publics
  • Une Journée d’action des médias sur les droits numériques au Nigeria
  • Trois visites de plaidoyer auprès d’organismes gouvernementaux importants
  • Deux enquêtes auprès des participant·e·s pour comprendre les niveaux de sensibilisation aux droits numériques avant et après le projet.
Renforcer les capacités des défenseur·e·s de l’inclusion numérique

Le CITAD s’est fixé pour objectif d’accroître les capacités des femmes à comprendre leurs droits numériques, améliorer leur sécurité en ligne et utiliser l’internet comme outil d’autonomisation. La première étape comprenait une formation de deux jours en sécurité numérique. Celle-ci a été proposée à 31 femmes, des journalistes, des dirigeantes de la société civile et des jeunes femmes, qui ont à leur tour offert ces formations à 449 personnes dans leurs communautés et ont partagé leur expérience dans des programmes radio et télévisés à ce sujet. L’une des participantes a avoué qu’avant la formation, elle ne savait absolument pas comment se protéger en ligne, ni qu’elle avait la possibilité d’intenter une action en justice contre les atteintes à la vie privée, deux points essentiels qu’elle a appris pendant la formation.

Image: A group of people participates in two-day workshop on enhancing digital rights in Nigeria. Photo courtesy of CITAD.
[Un groupe de personnes participant à un atelier de deux jours sur le renforcement des droits numériques au Nigeria. Photo reproduite avec l’aimable autorisation du CITAD.]
 

Un deuxième effort de renforcement des capacités a eu lieu avec la cinquième édition de l’École de l’internet féministe de Bauchi (BaFIS), créée en 2016 pour former « des défenseurs de l’inclusion numérique qui rejoindront d’autres défenseurs pour combler la fracture numérique dans le pays. » Les 34 participant·e·s à l’édition 2023 ont examiné les pistes possibles pour l’inclusion de genre, parallèlement à une formation intensive sur l’accès et l’utilisation de l’internet (notamment les médias sociaux).

« Ce que nous avons découvert, c’est que beaucoup de femmes et de jeunes filles ont intériorisé la peur de l’internet en raison de contenus qu’elles trouvent désagréables, d’expériences de personnes qui ont été victimes de violence de genre en ligne, ou de femmes exposées et ridiculisées dans les médias, si bien qu’elles sont nombreuses à rester à l’écart des espaces numériques », explique Ya’u. C’est à travers les réponses à ces craintes et la création d’un large espace permettant aux femmes de participer tout en veillant à ce que les hommes comprennent mieux la question de l’inégalité numérique que la formation de l’École de Bauchi a vraiment permis d’autonomiser ces personnes. « Dans un environnement structuré par le patriarcat, ajoute-t-il, nous avons pensé qu’il était possible de rassembler les hommes et les femmes et d’essayer de comprendre ce dont nous avons besoin en tant que collectivité pour occuper cet espace. »

Une participante s’est fait l’écho de cette approche inclusive en affirmant que l’École de Bauchi avait été la formation la plus intéressante qu’elle ait suivie car elle lui avait appris à sécuriser ses appareils et ses profils sur les réseaux sociaux, et à mieux comprendre la question des droits numériques.

La méthodologie du CITAD repose largement sur les Principes féministes de l’internet et les concepts qu’elle utilise, tels que consentement, mémoire, expression et résistance résonnent avec les expériences des gens, fournissant d’excellentes bases pour débattre selon une démarche basée sur les droits. « Considérer l’internet depuis une perspective de genre et une analyse féministe révèle l’impulsion libératrice des technologies, que ce soit pour une subversion du contrôle patriarcal ou une démystification des craintes que nous avons vis-à-vis de l’internet, » avance Ya’u.

Des campagnes pour sensibiliser le public

L’un des efforts les plus ambitieux du CITAD pour sensibiliser le public à la question des droits numériques a consisté à travailler avec les jeunes à la création d’ « espaces » mensuels sur Twitter/X sur une période de six mois, afin d’encourager l’engagement entre le public et les experts des droits numériques. Ces campagnes de sensibilisation du public ont été une excellente occasion pour les participant·e·s des formations du CITAD d’appliquer les compétences acquises et de participer à des actions de plaidoyer en ligne. « Nous voulions atteindre la jeune génération, qui occupe déjà cet espace d’une manière ou d’une autre, » déclare Ya’u, car ce sont eux qui sont actifs en ligne.

D’autres efforts de sensibilisation ont été organisés, notamment une série de huit conférences de presse couvertes par les médias nationaux, appelant à l’adoption du projet de loi sur les droits et libertés numériques. Cela a permis la libération de deux personnes arrêtées par le Département des services de sécurité et les forces de police nigérianes pour avoir exprimé leur opinion. De plus, le CITAD a organisé six forums publics pour discuter de différents éléments des droits numériques, avec des intervenants experts. Une Journée d’action des médias sur les droits numériques, couverte elle aussi par huit stations de radio et l’Autorité nigériane de la télévision, a réaffirmé les différentes options de protection et de défense des droits numériques.

S’engager dans un plaidoyer collectif pour le projet de loi sur les droits et libertés numériques

Le 26 janvier 2023, le CITAD a organisé une réunion nationale des parties prenantes sur les droits numériques à Abuja, qui a réuni 40 participant·e·s de différents secteurs afin de discuter du projet de loi sur les droits et libertés numériques proposé par le Nigeria. L’objectif consistait à améliorer la compréhension des participants sur les principales questions relatives aux droits numériques et au-delà, explorer les possibilités du plaidoyer collectif pour aider à faire adopter le projet de loi.

Le projet de loi sur les droits et libertés numériques a fait l’objet d’un processus complexe au cours des trois dernières années. « Le potentiel du projet de loi consiste en réalité à institutionnaliser les droits numériques en tant que droits juridiquement accessibles », explique Ya’u. Malheureusement, un manque de compréhension des droits numériques et une série d’obstacles bureaucratiques ont rendu l’adoption du projet de loi lente et laborieuse. « Nous n’avons pas été en mesure d’obtenir un engagement explicite de la part du gouvernement, ce qui est inquiétant en ce qui concerne la violence assistée par la technologie. Il n’y a pas eu de loi spécifique pour traiter ce problème très complexe », déplore Ya’u.

Image: A group from CITAD engaging in an advocacy visit at Nigeria's National Identity Management Commission. Photo courtesy of CITAD.
[Un groupe du CITAD en visite de plaidoyer à la Commission nationale de gestion de l’identité du Nigeria. Photo reproduite avec l’aimable autorisation du CITAD.]
 

Dans le cadre de son projet, le CITAD a organisé des visites de plaidoyer auprès d’agences gouvernementales clés dans le but d’établir des partenariats stratégiques et ainsi aider à faire adopter le projet de loi. Ont notamment été concernées la Commission nigériane des communications, la Commission nationale de gestion de l’identité et de la Commission nationale des droits humains. Chaque visite a permis d’établir des partenariats et d’approfondir l’engagement, de former le personnel et, dans le cas de la Commission nationale des droits humains, d’appuyer l’adoption du projet de loi. « L’une des choses positives que nous avons constatées est que le gouvernement a aujourd’hui signé la loi sur la protection des données, qui offre un certain niveau de protection des données personnelles et de la vie privée », note Ya’u.

Des avancées en matière de représentation

Tout indique que sensibiliser le public est possible lorsqu’on met en place des campagnes et des activités dédiées comme le CITAD l’a fait. Les enquêtes menées auprès des participant·e·s avant et après le projet ont montré une augmentation de 87 % dans la sensibilisation sur le concept de droits numériques dans les communautés où le projet a été mis en œuvre.

Image: Community members receiving training at the Bauchi Feminist Internet School. Photo courtesy of CITAD.
[Des membres de la communauté participent à une formation sur les droits numériques à l’École de l’internet féministe de Bauchi. Photo reproduite avec l’aimable autorisation du CITAD.]
 

La défense des droits numériques au Nigeria continue de guider le travail du CITAD, dont l’un des principaux défis reste le manque de compréhension du public sur la question. « La violence basée sur le genre assistée par la technologie se déroule souvent dans l’intimité et les victimes ont souvent tendance à garder le silence », explique Ya’u. « Elles ne veulent pas que cela se sache parce qu’une fois que c’est rendu public, elles subissent un niveau supplémentaire de traumatisme. Voilà pourquoi beaucoup pensent encore que la violence et la discrimination de genre sont en fait insignifiantes. Nous avons besoin de réussir à rendre cette réalité plus visible afin que le gouvernement puisse prendre davantage au sérieux la question.

Ya’u souligne que pour les gouvernements l’un des principaux obstacles à la mise en œuvre de lois plus strictes sur la violence basée sur le genre en ligne provient du nombre disproportionné d’hommes en position de pouvoir. « La majorité des agences gouvernementales liées à la technologie qui élaborent les règles, les réglementations et les politiques sont principalement dirigées par des hommes qui comprennent très peu les abus auxquels les femmes et les filles sont confrontées dans les espaces numériques », rappelle Ya’u.

Il est urgent de relever ce défi, dans lequel la formation des femmes constitue une voie essentielle pour atteindre les objectifs fixés par les défenseur·e·s des droits numériques et les groupes de la société civile.


Cet article est basé sur l’information fournie par le CITAD dans le cadre du projet « Enhancing the Flourishing of Digital Rights in Nigeria », adapté pour la rubrique Semer le changement. Cette rubrique présente les expériences des membres et partenaires d’APC qui ont bénéficié d’un financement à travers notre programme de subventions secondaires d’APC, avec le soutien de l’Agence suédoise de coopération internationale au développement (Sida), ou de nos autres subventions secondaires proposées dans le cadre de projets d’APC.

Lisez d’autres articles sur des projets entrepris par le CITAD avec le soutien d’une subvention secondaire d’APC.

Cette histoire vous a inspiré·e à semer les graines du changement dans votre communauté ? Racontez-nous votre histoire en nous écrivant à l’adresse suivante : communications@apc.org