Comment les membres et partenaires d’APC améliorent-ils le quotidien de leurs communautés ? Nous présentons dans cette chronique des récits qui soulignent l’impact et les changements opérés avec l’aide de subventions secondaires d’APC. En Namibie, ce projet catalyseur a créé un réseau communautaire numérique pour le peuple Ju|’hoansi, qui vit dans la zone de conservation isolée de Nyae Nyae.
La Nyae Nyae Conservancy est l’une des premières organisations de conservation de la faune et de la flore sauvages enregistrée en Namibie, dans une région du sud de l’Afrique considérée comme importante en la matière. Les Ju|’hoansi de Nyae Nyae sont au nombre de 3000, dont plus de la moitié vivent éloignés de toute route ou infrastructure, dans 38 villages de 20 à 60 personnes disséminés sur un vaste territoire.
Dans le but d’y installer un réseau communautaire numérique, une équipe internationale formée de représentant·e·s de l’Université internationale de management de Namibie, du Brésil, d’Aotearoa (le nom Māori de la Nouvelle-Zélande) et du Royaume-Uni ont créé un partenariat avec les Ju|’hoansi isolés de la Nyae Nyae Conservancy. Cette équipe a conçu, mis en œuvre et testé des prototypes innovants de réseau social oral et sans connexion. Elle a également mis en place une installation peu coûteuse, robuste, portable et rechargeable à l’énergie solaire.
Ce travail a été réalisé avec la participation de la communauté, qui a contribué à imaginer un réseau social sans connexion qui permettrait aux Ju|’hoansi d’échanger des enregistrements audio, portant notamment sur les difficultés et les pratiques pour cultiver et produire de la nourriture. Cette expérience a permis non seulement de surmonter les nombreux obstacles envers l’accès dans la région, mais surtout de démontrer la valeur de la collaboration dans la conception des technologies, suivant une démarche axée sur la communauté. Elle a en outre permis de mettre en évidence l’importance du partage de contenu local.
Semer les graines d’un réseau communautaire fonctionnant sur la base d’un réseau social sans connexion
L’idée de créer un réseau communautaire fonctionnant sur la base d’un réseau social sans connexion a germé à partir de l’expérience de Zenzeleni Networks en Afrique du Sud : Nic Bidwell, l’un des chercheurs qui a dirigé ce projet, avait alors exploré cette possibilité d’utiliser des enregistrements vocaux en Afrique rurale.
À partir de ces expériences, une équipe aux formations diverses et issue de différents pays a travaillé auprès de la communauté pour créer une technologie adaptée aux intérêts et aux besoins des gens, qui tienne compte de la réalité locale et de leur manière de vivre. Le projet comportait donc plusieurs volets visant à échanger les savoirs avec les Ju|’hoansi et à leur permettre de participer activement à la conception et la production de contenus audio asynchrones. Ils ont ainsi pu partager leurs connaissances en restant aussi proches que possible des valeurs culturelles de leur peuple.
Suite aux conversations avec les habitants des 40 villages dispersés du conservatoire, un réseau social sans connexion peer-to-peer (P2P) a été créé sur la plateforme Scuttlebutt, à la fois décentralisée et sûre. Ces discussions avec les groupes Ju|'hoansi ont également permis d’identifier les besoins en équipements, que ce soient des téléphones, des panneaux solaires, des haut-parleurs USB, des batteries portables ou encore une nacelle. Il n’a pas toujours été aisé de marcher d’un village à l’autre en raison de la distance, du climat et des éléphants errants. Mais un réseau social sans connexion offre un énorme potentiel ; c’est une manière bon marché d’échanger des histoires et de communiquer parmi les villages, en passant par le numérique au lieu de s’asseoir autour d’un feu. De plus, depuis que quelques villages disposent d’une couverture avec la nouvelle tour pour téléphones portables installée à Tsumkwe, il y a davantage de possibilités pour intégrer au système un composant permettant de se connecter de manière intermittente.
L’équipe du projet a découvert parmi les audios partagés un résultat inattendu qui les a particulièrement enthousiasmés : ils se sont en effet rendu compte que le contenu enregistré pourrait avoir des répercussions positives sur l’alimentation du peuple Ju|'hoansi.
Contenu local et sécurité alimentaire
Les noresi (villages) où vivent les Ju|'hoansi sont construits autour de puits creusés dans le secteur aride du désert du Kalahari. En août 2019, lorsque les membres de l’équipe du projet, Martin Ujakpa, Candi Miller et Nic Bidwell, ont commencé à converser avec les villageois Ju|'hoansi pour mieux comprendre leurs besoins, on leur a expliqué que c’était le conservatoire de Nyae Nyae qui était chargé de l’entretien et de la réparation des puits. À l’époque, la Namibie était en état d’urgence, victime de la pire sécheresse depuis un siècle, et la santé de tous les êtres vivants était en jeu. Cela s’ajoutait à d’autres problèmes pour les Ju|'hoansi, qui ne pouvaient plus chasser comme ils l’avaient toujours fait.
Depuis plusieurs années, des programmes aident les villages à créer de petits potagers autour des puits pour améliorer leur sécurité alimentaire. « À nos premières visites, nous avons vu des potagers avec de très bons résultats, où on faisait pousser des épinards, des poivrons, des pommes de terre, des citrouilles et du melon, » expliquent les gens. « On a aussi entendu des plaintes, suite aux potagers piétinés par le bétail. On a vu le triste état de certains potagers, mais on s’est aussi rendus compte que les villageois dont les potagers étaient les plus verts semblaient être en bien meilleure santé. »
Dans le cadre de ce projet, l’équipe a pensé réaliser une évaluation pour étudier le lien entre le système de distribution de contenu enregistré et les visites du conservatoire pour inspecter et entretenir les puits. Elle a obtenu des résultats aussi révélateurs que prometteurs : « On ne s’attendait pas à apprendre que le contenu enregistré pouvait avoir des répercussions positives en suscitant la réflexion du peuple Ju|'hoansi sur la question de l’alimentation, » indiquent-ils. L’équipe s’est en effet rendu compte que dans les deux villages qui avaient enregistré et transféré des messages, le contenu numérique portait le plus souvent sur leurs potagers.
Il a été encourageant d’entendre des villageois Ju|'hoansi raconter combien ils appréciaient cette nouveauté de pouvoir écouter comment d’autres villages s’occupaient de leurs potagers. Pour l’équipe, heureuse de l’impact positif du projet sur les communautés locales, « l’impact le plus intéressant de ce projet est sans doute le fait que le contenu numérique partagé a offert au peuple Ju|'hoansi des perspectives d’autonomisation en abordant un problème fondamental pour sa survie : son alimentation. »
Photos : Nic Bidwell
Les informations présentées dans cet article sont tirées du rapport et du récit de l’équipe du projet !Huin!om Project Namibia, dans le cadre du projet « Connecter les non-connectés : soutenir les réseaux communautaires et autres initiatives de connectivité communautaires ». La chronique « Semer le changement » présente les expériences de l’équipe d’APC ainsi que des membres et partenaires d’APC qui ont bénéficié de notre programme de subventions secondaires. Outre le soutien des subventions d’APC aux interventions innovantes, APC Labs a offert son soutien financier et technique pour définir les équipements et élaborer la composante audio de l’application P2P.
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