Aller au contenu principal

Zied, il a un rêve. Pavel et moi sommes assis sur la banquette arrière de sa Renault jaune et il nous fait la conversation en anglais, puis en français. Nous passons à toute vitesse devant le palais présidentiel de Tunis, puis Zied, notre chauffeur de taxi ce soir là, répond patiemment à nos questions. Entre la Medina de Tunis et Sidi Bou Saïd, il a droit à un interrogatoire en règle.


Zied, il a un rêve. Pavel et moi sommes assis sur la banquette arrière de sa Renault jaune et il nous fait la conversation en anglais, puis en français. Nous passons à toute vitesse devant le palais présidentiel de Tunis, puis Zied, notre chauffeur de taxi ce soir là, répond patiemment à nos questions. Entre la Medina de Tunis et Sidi Bou Saïd, il a droit à un interrogatoire en règle.


Pavel est ici comme journaliste, tout comme moi. Nous écrivons au sujet du Sommet mondial sur la société de l’information (SMSI). Un sujet passionant. Zied lui, n’en est pas convaincu. "Pour les gens d’ici, le sommet ça ne veut rien dire. C’est sûr qu’on en a tous entendu parler. On sait qui sont les chefs d‘État, les diplomates. On les connais tous." raconte Zied dans un anglais enkilosé.


Mais Zied n’arrive pas à nous dire de quoi ces chefs d‘État et diplomates s’entretiennent à l’heure où son taxi emprunte une rue en biais. "L’information, je crois", précise t-il. Pavel est impressionné. "Vous êtes le premier chauffeur de taxi de Tunis que je rencontre, qui parle l’anglais" Mais ce constat ne saurait détourner notre attention du "disconnect". Des années-lumières séparent les habitants de Tunis, pour ne pas dire de toute la Tunisie, des thèmes du sommet. À part les détails logistiques et spectaculaires, ainsi que la rhétorique de modernité de leur meneur de claques, ils n’ont pas eu vent, pour ne nommer que ceux-là, de la censure sur internet, du contrôle unilatéral des États-Unis sur la toile et du rôle des médias indépendants sur internet.


Comment se fait-il qu’il y ait un décalage si important entre un événement en bordure de Tunis et ses habitants? N’y a t-il pas un non-sens ici? Peut-être le sommet en soi est-il coupable. Lui, qui a préféré laisser ces thèmes cruciaux de côté, le temps de mettre des virgules et des points finaux à un vague et dilué "Engagement de Tunis". Peut-être le président Ben Ali aurait-il une réponse toute faite à nous donner.


Zied lui, qui entre temps poursuit son discours en français, nous informe de ce que c’est pour lui l’engagement de Tunis. "Moi je travaille de 8 heures du matin à 2 heures du matin." Depuis que son père est mort en 1996, il vit à Tunis et soutient sa mère et son petit frère. Il s’arrête parfois pour faire les courses et manger un morceau, mais il s’en tient à un horaire de 16 heures. Deux quarts de travail bout-à-bout. "Je viens de Le Kef, à 170 kilomètres au nord de Tunis et je suis ici pour le job" dit-il tout en avouant qu’il n’aime pas son travail.


"Tu vois, on est pas vraiment intéressés par le sommet ici. On a d’autres trucs qui nous tiennent occupés." rajoute t-il pour rendre le constat encore plus clair qu’il ne l’est déjà. Puis sorti de nulle part, Zied nous dit qu’il a un rêve. Il regarde dans le miroir arrière et nous dévisage un instant, avant de reposer son regard sur l’asphalte. Il pose, puis d’une voix déterminée, il affirme "Mon rêve, c’est de m’acheter une voiture."


Sa situation actuelle l’oblige à donner 70% de ses revenus à sa compagnie de taxi. S’il avait son propre véhicule, il pourrait s’en tirer avec une soustraction de seulement 30%. Zied a un rêve et il faudrait être voyant pour prédire s’il le réalisera un jour. Mais en attendant Godot, que fait le sommet de Tunis pour Zied? En quoi ce sommet, censé servir de catalyseur au développement par le biais des technologies de la communication et d’internet, contribue t-il à ce que Zied se rapproche de son rêve? Si ce sommet n’a pas à trouver de réponses à tous les maux de la planète, il devrait servir Zied et son entourage. Pavel et moi fermons la porte du taxi après avoir souhaité bon courage et bonne chance à Zied. Nous fermons la porte, mais pas la réfléxion.


Zied reprend le volant puis fait rouler son bolide vers la sortie du stationnemernt de l’hôtel. Il nous fait un clin d’oeil, puis disparaît sans faire de bruit sous la nuit étoilée. Icognito, à la poursuite de son rêve…


Regions