En consultation avec des organisations alliées, l’Association pour le progrès des communications a envoyé au gouvernement de l’Équateur un rapport visant une collaboration au processus de l’Examen périodique universel, dans lequel des recommandations sont émises quant à la liberté d’expression et sa relation avec l’accès à l’internet. Au cours d’un entretien avec Flavia Fascendini de GenderIT.org, Valeria Betancourt, la directrice du Programme de politiques d’information et de communication d’APC, soutient que de grandes possibilités pour que les droits des femmes sur l’internet soient pris en compte de façon structurelle sont offertes par les stratégies de grande envergure du Plan national pour le bien-vivre 2009-2013 (Plan Nacional para el Buen Vivir 2009-2013) qui prennent en compte le transfert des connaissances à travers la technologie, la connectivité pour une société de l’information et de la connaissance, ainsi que l’inclusion et la garantie des droits humains.
Flavia Fascendini (FF): Comment a commencé le processus de recherche et de collecte de données pour rédiger la contribution envoyée au gouvernement de l’Équateur dans le cadre de l’Examen périodique universel (EPU) ? Quelle sera la suite de ce processus après la présentation de la contribution ?
Valeria Betancourt (VB): Il s’agissait dans un premier temps d’une action précise avant l’événement principal en mai à Genève, lorsque l’EPU 2012 aura lieu et qu’il sera demandé au gouvernement de répondre aux préoccupations ou commentaires sur sa politique de droits humains. L’occasion s’est présentée pour nous de faire une contribution en Équateur lorsque des discussions ont eu lieu autour de projets de lois qui nous semblaient en lien direct avec le sujet de l’accès à l’internet comme l’était la loi sur la communication. D’autre part, nous avons vu la possibilité d‘élargir la collaboration que nous avions autour du projet de loi sur la communication avec des organisations alliées en Équateur, comme le Centre international d’études supérieures de communication pour l’Amérique latine (CIESPAL – Centro Internacional de Estudios Superiores de Comunicación para América Latina) et Radialistas Apasionadas y Apasionados, vers d’autres domaines plus spécifiquement liés à la question de l’internet. Nous avons identifié quels domaines devraient être couverts dans les recommandations et au cours de notre étude, nous avons clairement vu que l’un des outils fondamentaux dirigé vers une politique publique en Équateur, le Plan Nacional para el Buen Vivir 2009-2013 , comprend d’une certaine façon cette question. Il était donc intéressant d’utiliser ce cadre comme référence à nos contributions.
FF: Comment arrive-t-on à introduire la question des droits de l’internet dans un cadre beaucoup plus général ? Et comment dialogue-t-on avec des organisations qui ne travaillent pas spécifiquement à la question de l’internet ?
VB: Nous avons l’avantage qu’en Équateur, le Plan national pour le bien-être, établi pour la période 2009-2013, comprend des stratégies spécifiques dans lesquelles il est possible d’incorporer la question de l’internet. Nous avons donc décidé de profiter de ces stratégies établies pour les relier directement avec le thème des droits humains sur l’internet. Parmi les Objectifs pour le bien-être du Plan national, l’objectif 2 consiste à « améliorer les capacités et les potentiels des citoyens », et l’on propose dans ce cadre un objectif spécifique concernant l’accès à l’internet : « multiplier par trois le pourcentage de foyers ayant accès à l’internet avant 2013 ». Il y a là d’importantes possibilités. Et en réalité, il n’y a pas encore eu de dialogue avec le gouvernement, le processus vient de débuter et c’est d’ailleurs là l‘étape suivante, que nous voulons voir réalisée en mai, quand il sera possible de discuter tant avec des représentants du gouvernement équatorien qu’avec les représentants d’autres gouvernements qui pourront questionner l‘Équateur dans le cadre de leur Examen périodique universel. Par contre, nous avons déjà envoyé formellement les recommandations au gouvernement, et notamment au ministère de la Justice et au Ministère des relations extérieures, même si nous n’avons malheureusement reçu aucune répercussion ni réponse pour le moment. Notre objectif est de réussir à établir un dialogue avec le gouvernement en mai, à partir des objectifs communs qui auront été identifiés. Le gouvernement équatorien a par exemple participé à la dernière réunion du Conseil des Droits de l’Homme en février où a eu lieu le comité d’experts de haut niveau sur la liberté d’expression et l’internet et où il a fait une intervention assez intéressante. Cela nous aide à établir un dialogue à partir d’un thème qui intéresse apparemment le gouvernement de l’Équateur.
FF: Le rapport mentionne des domaines où l’on considère que des progrès ont été faits en Équateur suite à la mise en route du Plan national pour le bien-vivre. Comment évaluez-vous les effets présents ou futurs de ce Plan sur l’exercice des droits des femmes sur l’internet ?
VB: S’il est vrai que des progrès ont été faits, je pense que l’un des points faibles en général de la politique publique équatorienne est celle qui concerne la dimension de genre. Et les politiques de TIC n’échappent pas à cette réalité. Je suis cependant persuadée qu’il existe des possibilités, à partir du moment où le Plan national pour le bien-vivre présente une stratégie spécifiquement liée à l’inclusion et la garantie des droits. Cela nous donne un cadre adéquat pour asseoir nos revendications d’incorporation de la dimension de genre et d’analyse de la façon dont les droits des femmes sont limités ou renforcés dans la sphère internet. On peut légitimement penser que ces questions ont des chances d’être prises en compte, quand on sait que si les femmes sont des actrices historiquement négligées en Équateur, le pays semble suivre certaines orientations en matière de politique publique pour s’occuper de cette problématique de façon structurelle. L’Équateur a progressé dans la collecte d’informations et l‘élaboration de preuves permettant de rendre compte de la situation spécifique de tous les acteurs sociaux face au développement, à l’exercice de leurs droits, etc. L’un des domaines dans lequel le gouvernement semble vouloir travailler est l’augmentation des chances pour une meilleure égalité de genre. Il me semble qu’APC peut jouer là un rôle important avec ses pairs en proposant des mécanismes spécifiques et en faisant des propositions concrètes qui permettent de continuer à progresser en ce sens. Je crois que travailler autour de l’EPU nous permet de sensibiliser à la façon dont les droits des femmes sont affectés par l’absence ou la présence de politiques de ce type.
FF: La contribution à l’EPU du Brésil, par exemple, est bien plus explicite en ce qui concerne sur les questions relatives aux problématiques de genre ; leur rapport est très clair en matière de droits sexuels et reproductifs…
VB: Oui, c’est exact. Je pense que dans le cas de l’Équateur, il est important de souligner que ce type de contribution devrait être possible dans le futur. Il me parait important d’agir pour que dans le cadre de l’Examen périodique universel, des questions spécifiquement liées aux droits humains des femmes sur l’internet soient posées au gouvernement de l’Équateur, comme l’accès à l’information sexuelle et reproductive, ou concernant les projets liés à l’inclusion de la perspective de genre dans les politiques de TIC. Notre priorité est la mise en place d’un dialogue avec des représentants du gouvernement équatorien pour voir comment étudier et incorporer ce sujet des droits humains sur l’internet parmi les thèmes que l‘Équateur devra analyser dans ses prochaines révisions.
FF: Quels outils seraient efficaces selon vous pour que les défenseuses des droits des femmes, les militantes du genre et des TIC soient mieux sensibilisées à l’importance de l’EPU pour leur travail?
VB: Ce que nous tentons de faire ici est de provoquer des rapprochements directs avec les organisations de droits humains qui travaillent depuis longtemps dans le pays. Cela nous intéresse tout d’abord de connaître leur expérience dans le cadre de l’EPU, puisque plusieurs d’entre elles ont déjà émis à plusieurs reprises des recommandations à l’EPU, sans avoir pour autant encore pris en compte la question des droits humains sur l’internet. Elles ont par contre traité d’autres sujets comme la liberté d’expression, mais sans les lier à l’internet. Nous espérons également nous rapprocher à des organisations, des groupes et des militants qui œuvrent spécifiquement pour la promotion et la défense des droits des femmes. Nous tentons donc de provoquer ces rapprochements pour unir nos forces et voir s’il est possible de se mettre d’accord sur un programme commun en ce qui concerne les droits humains et l’internet. Nous avons ici recours à un mécanisme de dialogue direct parce que nous croyons que cela permet, outre l’auto-alimentation à travers l’expérience de participation de la société civile à l’EPU, l’élargissement des programmes des organisations des droits humains.
FF: Si vous Valeria, en tant que personne informée au sujet des droits humains sur l’internet, deviez pointer quel aspect il serait intéressant que le gouvernement équatorien traite ou observe en matière de genre sur l’internet, quel serait-il ?
VB: À mon sens, la question de l’accès est fondamentale pour améliorer les possibilités de liberté d’expression des femmes en ligne en tant que droit permettant l’exercice d’autres droits. Il me semble important de mieux observer comment l’accès à l’internet, et comment la possibilité d’exercer en plus la liberté d’association et le droit à l’accès à l’information et aux connaissances, ont un impact direct sur les femmes. Je crois que c’est à partir de là qu’il sera possible de rassembler des conditions permettant aux femmes de placer avec plus de force nos exigences et propositions dans la politique publique, pour continuer à progresser non seulement depuis la perspective de formulation des politiques publiques mais également depuis le renforcement de l’exercice même des droits des femmes dans la sphère internet.
FF: Merci beaucoup pour cet entretien avec GenderIT.org, Valeria.