A la question de savoir quelle position l’Afrique centrale va adopter au Forum de la Gouvernance de l’internet (FGI) en Afrique, posée par un participant, diverses réponses et interrogations s’en sont suivies. Pour emprunter à l’expression de Justine Diffo Tchunkam, enseignante à l’Université de Yaoundé II, l’Afrique centrale a une vision commune, mais pas de position commune en matière de réglementation du secteur des TIC.
Le débat sur la réglementation du secteur des TIC dans la sous-région est d’actualité au moment où le Cameroun et le Congo ont avancé sur les réformes législatives des communications électroniques, et que la réflexion a commencé dans d’autres pays comme la Centrafrique et le Tchad, qui conservent encore leurs lois qui remontent aux années 2007 et 2008.
S’il y a plus de 2 milliards d’utilisateurs d’internet, cela démontre que cet outil est indispensable pour renforcer l’économie et améliorer le niveau de vie des populations, tout en veillant à ce qu’il n’y ait pas d’abus.
Réformes législatives dans le secteur des TIC en cours
L’Inspecteur général du Ministère des Postes et Télécommunications du Cameroun a déclaré que « le Cameroun compte 20 millions d’habitants mais juste un million d’habitants qui sont utilisateurs de l’internet. Il y a deux points d’atterrissage de câbles sous-marins à fibre optique. Un processus de restructuration pour mieux étendre et exploiter la dorsale est en cours ».
La libéralisation du secteur des télécommunications dans plusieurs pays de la sous-région a conduit à un accroissement des opérateurs de téléphonie mobile, fournisseurs d’accès internet et d’autres encore; mais aussi à une pénétration croissante des TIC dans la population. Certains pays comme le Cameroun ont élaboré des documents de stratégie nationale de développement des TIC pour orienter leur politique dans le domaine.
Intervenant sur le sujet, Aline Mbono, juriste à l’ANTIC, a déclaré que le Cameroun est en tête de file dans la sous-région en matière de réformes dans la réglementation du secteur des TIC avec deux lois sur la cyber sécurité (loi 2010/10/2012) et la cybercriminalité (loi 2010/10/103) et les communications électroniques adoptées en 2010. Ces réformes résultent notamment de l’impulsion donnée par la Communauté Economique des Etats de l’Afrique Centrale (CEEAC) à l’harmonisation du cadre légal des TIC dans la sous-région.
A notre question sur l’application effective de ces deux lois, et les changements palpables pour les citoyens camerounais, Aline Mbono a répondu par l’affirmative « ces lois sont appliquées au Cameroun. Pour les utilisateurs, les changements sont perceptibles en matière de cyber sécurité, qui ont réduit un certain nombre de pratiques tel que de mettre en ligne des contenus aux mœurs discutables. Désormais, un éditeur de contenu (stockeur de contenu) est d’ailleurs obligé de répondre au contenu mis en ligne, même s’il n’en est pas l’auteur.
Depuis 2010, le Cameroun demande aux opérateurs de téléphonie mobile d’identifier leurs utilisateurs. « Il est possible de retrouver ainsi un cybercriminel, et les opérateurs gardent les données sur les utilisateurs pendant 10 ans » a-t-elle ajouté.
Abordant la question des entreprises, elle a précisé que « l’audit des systèmes d’information n’était pas réglementée au Cameroun, toutes les entreprises qui ont des systèmes interconnectés tels que les fournisseurs de service internet, opérateurs de réseaux de télécom et banques, seront audités grâce à la loi».
Les participants ont été édifiés par le projet de cadre réglementaire des TIC au Niger, présenté par Iro Adamou, Coordonnateur du Réseau francophone des juristes en TIC. Il a parlé de la formation sur le droit des TIC pour les étudiants, de la révision du code pénal et des procédures pénales.
Il a insisté sur l’implication dans l’élaboration des lois sur la cyber sécurité des bureaux de droit d’auteur, qui font l’objet de piratage, des opérateurs des télécommunications qui sont soit auteurs, soit parties de la solution, surtout pour les questions de traçabilité des informations et des appels.
« Nous voulons des lois qui nous font avancer »
Tous les pays de l’Afrique centrale connaissent des problèmes de développement ; cependant ce développement ne peut s’accélérer que s’il y a harmonisation des normes, politiques et législations sous régionales ; régionales et internationales.
Il se dessine donc de façon certaine le besoin d’harmoniser les lois dans le secteur des TIC, ce qui tarde à venir. Par ailleurs, les participants tels que Pierre Chekem, activiste de la société civile a rappelé qu’ « il faudrait créer une synergie dans la communauté en matière de loi : plusieurs textes de lois sont pris sans décrets d’application. Si nous voulons rendre service à la société, il faudrait que les textes soient accompagnés des décrets d’application ». Il a souligné « nous voulons des lois qui nous permettent d’avancer – et ne pas revenir tous les trois ans faire des relectures ! ».
Cependant, force est de constater que bien que ce soit le Parlement qui décide de passer les lois, les décrets d’application sont pris soit par le Président de la République, soit par des ministres.
D’autres participants ont également fustigé ce qu’ils ont appelé « le Contrôle C», une sorte de « copier-coller » des lois ayant cours en France. Ils ont appelé à des processus de réformes législatives multi-partites. Certains sont allés plus loin en s’interrogeant à savoir « combien de nos députés ont des adresses email alors qu’ils sont censés voter ces lois ? ». D’où la nécessité d’impliquer toutes les parties prenantes dans l’élaboration.
Répondant à la question, Aline Mbono s’est voulue rassurante. Le processus d’élaboration des deux lois du Cameroun étaient selon elle multi-acteurs avec la participation des experts du gouvernement, de la société civile et du secteur privé.
Certes, beaucoup de faiblesses ont été relevées pour la sous-région. Cependant, il y a eu des avancées en matière de réglementation qui doivent être consolidées, et les pays comme le Cameroun et le Congo, qui ont adopté de nouvelles lois sur les communications électroniques, devraient partager leurs expériences avec les autres pays.
Sylvie Niombo est Directrice générale de l’association AZUR Développement, en République du Congo.