D’après les débats, en Afrique, le marché des technologies de l’information et de la communication (TIC) ne s’est pas développé aussi rapidement qu’il aurait pu avoir en raison du manque de politique favorable et de cadre réglementaire. Selon la Commission Economique des Nations Unies pour l’Afrique (CEA), en 2007, seulement 34 pays africains avaient des politiques sur les TIC, douze étaient dans le processus d’en produire, alors que sept n’avaient même pas lancé le processus de développement de politiques.
Le Kenya constitue une exception notable : il a été parmi les précurseurs dans la promotion accélérée du développement d’une politique des TIC sur le continent. Déjà en 1998, le débat politique mené dans le pays a conduit à la loi kenyane sur les communications, en phase avec les processus de libéralisation des politiques de télécommunications dans certains pays africains au cours des années 1990, y compris les pays à revenus moyens comme l’Afrique du Sud et l’Egypte.
Pourtant, pas plus d’une décennie plus tard, plusieurs de ces moments historiques de politique n’ont pas fait long feu, très éprouvés par le rapide changement technologique, ou par l’incapacité des gouvernements à les mettre correctement en application et de façon transparente.
La large bande passante met en relief les lacunes en matière de politique
L’inauguration en juin du dispositif est africain de câble marin (TEAMS) d’une valeur de 130 millions USD au Kenya était un événement aussi bien symbolique que pratique. C’était symbolique sur un certain nombre de points, plus manifestement quand le président kenyan Mwai Kibaki s’y est référé comme un outil de construction nationale, une déclaration suggérant plus que le développement économique à la suite des affrontements sanglants de l’élection nationale l’année dernière. Mais il est aussi symbolique parce qu’il montre la véritable aube de la connectivité au 21e siècle ; le début d’un nouveau paysage convergé des télécommunications à la hauteur duquel la politique à présent dépassée et les développements législatifs des années 1990 se sont battus pour se maintenir.
Et la convergence, le Kenya le montre, est à l’origine de défis politiques inconfortables qui se pointent à l’horizon.
Le contenu en ligne en veilleuse
On a longtemps eu l’impression que la question du contenu en ligne a été mise en veilleuse parmi les décideurs politiques du domaine des TIC en Afrique, sans doute car cela peut être un sujet complexe. Il n’est pas évident de décider où tracer la ligne concernant des sujets comme la liberté d’expression, la sécurité de l’Etat et la vie privée, et déterminer comment réglementer la liberté relative des publications en ligne où l’utilisateur est aussi le créateur du contenu est délicat, tout comme le sont les questions de droits de propriétés et de piraterie.
Le contenu en ligne constitue également un sujet politique brûlant. De toucher aux questions de libertés sur l’internet est vu à plusieurs égards comme une censure officielle de la pire espèce, et passible d’attirer la critique collective à travers le monde, comme l’ont découvert à leurs frais des pays comme la Chine.
Mais l’une des principales raisons pour ceci est que face aux besoins de développement d’infrastructure en Afrique, le contenu en ligne a été considéré comme une question ‘secondaire – comme c’est le cas dans les approches largement technocentristes appliquées au déploiement du gouvernement électronique.
Combiner le nouveau avec l’ancien
Mais la loi amendée sur les communications du Kenya (2008) est en train de montrer que ce manque d’attention pourrait s’avérer un problème plus grand que prévu. Ce qui a émergé dans la loi ressemble plus à une approche couper-coller qui met ensemble les responsabilités des médias avec des responsabilités parfois plus éphémères de la communication en ligne. Et on affirme que le couteau qui est à la gorge des medias s’applique automatiquement à l’internet.
A certains égards, ceci pourrait être justifié. Au Kenya, lors des accrochages post-électoraux de 2007, l’internet a joué un rôle important dans la violence. Il a été utilisé par la diaspora kenyane pour envoyer des messages et des courriers électroniques qui étaient potentiellement plus dangereux à la sécurité de l’Etat que n’importe quelle publication écrite ou radio-télévisée.
Dans le même temps, les publications de médias traditionnels faisaient leur sale besogne. KASS FM, la radio pro-opposition par exemple, aurait diffusé des émissions inflammatoires durant la violence post-électorale, sans que rien ne soit fait. D’autres agences de publication comme le Royal Media Services, propriétaire de Citizen TV, et de nombreuses stations vernaculaires avaient ouvertement supporté le parti de l’Unité nationale de Kibaki.
Le gouvernement a justifié les nouveaux mécanismes sous la loi en pointant du doigt précisément ces types de comportement ; comportements, il faut le dire, qui étaient le résultat d’une législation faible et d’une absence de mécanismes d’auto-régulation.
Le ministre obtient de nouveaux pouvoirs
L’une des sections les plus controversées de la loi est la Section 88 qui donne au ministre des communications les pleins pouvoirs pour unilatéralement, sans avoir recours au parlement ni aux différentes cours, entrer dans les stations de radio, les perquisitionner et saisir leurs équipements de communication. Le ministre a également reçu les pouvoirs pour intercepter et ouvrir les communications interpersonnelles, et intercepter les articles transitant par la poste. Au niveau de la mise en exécution, le régulateur, la Commission des communications au Kenya (Communications Commission of Kenya – CCK), a reçu les pouvoirs pour révoquer les permis et imposer des amendes.
Les médias pour leur part ont soutenu que l’auto-régulation est la meilleure option. L’auto-régulation, affirment les propriétaires de médias, devrait s’appliquer à la programmation en général, comme par exemple la décision sur ce qu’il faut diffuser et quand. S’agissant des boulets rouges concernant la diffusion des soi-disant ‘contenus adultes’ au cours des émissions matinales, ou du temps de TV familiale, ils soutiennent que cela devrait être laissé aux forces du marché et aux politiques éditoriales.
Strictement parlant, le conseil des médias déjà mis en place devrait jouer ce rôle. Le conseil comprend les représentants du gouvernement et des médias et est supposé recevoir les plaintes du public et mener les auditions. Il est supposé jouer le rôle d’arbitre tel qu’envisagé sous la loi portant sur les médias (2007), mais la faiblesse structurelle, principalement la capacité de mettre en application les peines et rendre ses décisions obligatoires.
Une bonne part de son inefficacité tient d’un manque de financement, provenant soit du gouvernement ou des propriétaires de medias eux-mêmes.
En suivant leurs politiques éditoriales – à tort ou à raison- les médias se sont toujours référés à la liberté d’expression qui est garantie par la constitution. Celle-ci dit que les mesures prises dans la loi sont des réminiscences du régime de Daniel Arap Moi, lorsque les journaux, perçus comme avoir franchi les lignes du journalisme acceptable, étaient interdits, et les journalistes arrêtés et détenus sans jugement.
Leurs peurs pourraient être bien fondées. Plus récemment, le 2 mars 2006, des policiers cagoulés avaient fait une rafle dans les bureaux du journal The Standard, détruisant les biens et brûlant les journaux ; cette rafle était menée comme une « mesure de sécurité » contre un crime que le journal serait en train de commettre.
Les problèmes ne sont pas les mêmes
Les implications exactes de la loi amendée sur les communications pour les contenus en ligne ne sont pas encore clairement expliquées. Mais est-ce aller trop que d’imaginer un jour où des polices prendront d’assaut la salle climatisée d’un fournisseur de service internet, saisissant les serveurs – et les données personnelles des abonnés avec eux ? Et simplement, la façon dont la nouvelle législation affectera la large bande passante et tout ce qui peut passer par les fibres, y compris la télévision, n’a pas été clairement expliquée.
Ce qui est clair est que le progrès technologique au Kenya a amené plus de niveaux de complexité à un schéma relativement stable de licence, et la politique doit répondre à ces nouveaux défis. Le cas du Kenya montre que les approches politiques aux médias traditionnels et aux nouveaux medias sont testées par convergence, et une approche unique risque de ne pas fonctionner. Au contraire, le nombre croissant, la variété et la combinaison des canaux et services qui seront disponibles semblent ouvrir le champ pour plus confiance à l’auto-régulation – sur une réglementation plus légère.
Il suggère également que les activistes des TIC avaient les mêmes raisons pour les manifestations de décembre de l’an dernier. L’erreur que plusieurs avaient faite était de penser que l’impasse provenait d’un vieux contentieux entre les médias et le gouvernement – un qui n’était pas sans précédent dans un pays comme le Kenya- alors qu’en fait, un nouveau domaine de contenu est en jeu.
Cet article a été écrit dans le cadre du projet Communiquer pour influer en Afrique Centrale, de l’Est et de l’Ouest par APC, afin de promouvoir le plaidoyer pour un accès abordable aux TICs pour tous. CICEWA cherche à définir les obstacles politiques qui préviennent un accès abordable à l’infrastructure des TIC en Afrique et à demander leur élimination afin de créer une plateforme solide pour la connectivité sous-régionale en Afrique de l’Est, de l’Ouest et Centrale.
Photos par Sharonpe. Utilisée avec permission sous la licence Creative Commons 2.0.