Le spectre, tel qu’il est défini au Kenya, est une ressource naturelle, qui n’a pas été créé par le gouvernement ou les autorités, et qui sert aux communications. Au cours des vingt dernières années – et plus encore dans les dix dernières années – la demande en matière de communications dans le monde a considérablement augmenté, et le Kenya ne fait pas exception.
De nombreux acteurs qui veulent une part du spectre, tels que les sociétés de télécommunications, les entreprises de radiodiffusion, les entreprises de sécurité, le gouvernement et d’autres secteurs sociaux, etc., ont besoin du spectre pour répondre à leurs besoins de communication. Mais sa gestion actuelle au Kenya ne permet pas d’optimiser son utilisation par tous les acteurs.
Actuellement, ceux à qui l’on a attribué une part de spectre peuvent finir par négliger (en en faisant un mauvais usage ou en ne l’utilisant pas) une fréquence qui leur a été attribuée par les autorités du pays. En raison de l’absence de système ou de régulateur pour surveiller l’utilisation des fréquences, il est impossible de s’assurer qu’elles sont utilisées le plus efficacement possible, explique le spécialiste en TIC au Kenya et en Afrique de l’Est, M. Muriuki Mureithi, en une nouvelle étude commandée par APC. (en anglais)Il existe trois principaux modèles de gestion du spectre. Le Kenya continue d’utiliser le moyen le plus traditionnel de gestion et de distribution du spectre, malgré deux autres approches possibles; mais passer à un modèle unique ne résoudrait pas nécessairement les problèmes de gestion du spectre du Kenya. Après avoir examiné les trois options de modèle possibles, Mureithi estime que la façon la plus efficace d’utiliser, d’allouer et de gérer le spectre serait une approche à trois volets, qui extrapole les avantages de chacun et permet l’utilisation la plus efficace du spectre pour tous.
La gestion du spectre: trois façons valent mieux qu’une
Le premier modèle, de nature plus administrative, est généralement appliqué par le gouvernement d’un pays et attribue certaines fréquences à des acteurs particuliers, généralement en fonction de leurs exigences techniques. Ce modèle est celui que le Kenya utilise actuellement, mais les acteurs peuvent mal utiliser ou rester simplement « assis » sur leur fréquence sans l’utiliser, d’où l’inefficacité de l’utilisation des fréquences. Le deuxième modèle de gestion est fondé sur les principes économiques du libre marché – certains droits à des fréquences du spectre sont vendus aux enchères au plus offrant. Mais le problème de ce modèle est que quand une entreprise paie pour obtenir des droits à une ressource comme le spectre, ceux qui n’ont pas les moyens de payer – comme certains programmes gouvernementaux, les services d’enseignement et les collectivités rurales – ne bénéficient pas d’un spectre de qualité. En outre, lorsque le spectre est vendu à des entreprises de télécommunication à un prix très élevé – qu’il s’agisse de la 3G, du WiFi ou du WiMAX, la compagnie devra nécessairement intégrer cet élément dans le prix des services qu’elle offre pour compenser, d’où une hausse des prix pour tous. Le troisième modèle de gestion du spectre, le « spectre ouvert », ouvre une fréquence que chacun peut utiliser gratuitement. Elle n’est pas attribuée à un opérateur ou à une entreprise de télécommunication car elle est considérée comme un bien commun (selon le mouvement qui plaide pour le partage de ressources comme l’information).
Dans son enquête nationale sur le spectre (lien), Mureithi plaide pour un modèle mixte qui intègre les trois modèles de gestion afin d’optimiser l’utilisation du spectre attribué au pays. « Avec le modèle actuel », a-t-il expliqué, « le pays risque de voir le spectre s’épuiser. « C’est particulièrement le cas pour la fréquence WiMAX, utilisée par une grande partie du pays. « À l’heure actuelle, 20 millions de Kenyans utilisent les communications mobiles GSM. De nombreuses activités quotidiennes nécessitent l’utilisation de la technologie WiMAX : données sur WiMAX, e-gouvernement, télécommunications et accès internet en milieu rural; l’épuisement des fréquences serait catastrophique et interromprait le développement du pays, en particulier dans les zones rurales qui seraient les plus durement touchées ».
Le spectre ouvert: Des TIC abordables dans les collectivités rurales
Le système actuel place également les communautés rurales dans une situation désavantageuse car il coûte trop cher aux opérateurs d’exploiter leurs réseaux là où la densité de population est si faible. « Dans une ville comme Nairobi, en raison de l’importante population de la ville, [les opérateurs] peuvent plus facilement couvrir leurs coûts parce qu’ils en obtiennent des revenus plus élevés. Ils ne sont pas en mesure de le faire dans les zones rurales où les coûts d’exploitation deviennent prohibitifs ».
La seule façon de recouvrer leurs coûts est de faire payer davantage les populations rurales ou de se retirer des zones rurales », explique Mureithi. Or l’ouverture du spectre permettrait aux populations rurales d’accéder à l’internet, d’utiliser les téléphones mobiles ou toute autre technologie de l’information et de la communication, beaucoup plus facilement – et de façon plus rentable. Du fait que les opérateurs estiment que l’investissement dans le spectre en milieu rural n’est pas assez rentable pour eux, le spectre ouvert et libre leur offrirait un incitatif convaincant.
En outre, dans les zones urbaines, on peut installer d’autres infrastructures telles que la fibre et le cuivre pour compenser le manque de spectre, mais dans les zones rurales qui ne possèdent pas ces infrastructures, l’absence d’accès au spectre reviendrait à les marginaliser complètement. « Le spectre est leur bouée de sauvetage », déclare Mureithi.
Restructuration et réattribution du spectre
Au Kenya, les fréquences sont affectées sur le principe du premier arrivé, premier servi et en utilisant une formule pour calculer l’attribution du spectre en fonction des exigences techniques. « Actuellement, quand une société veut se faire attribuer une fréquence sur WiMAX, il n’y a pas de fréquence disponible. La seule façon d’obtenir WiMAX est de racheter d’autres entreprises auxquelles on avait déjà attribué le WiMAX. « Le gouvernement a commencé à étudier les moyens de régler ce problème, mais les solutions ne sont que temporaires: l’une est de procéder à un audit pour s’assurer que les fréquences sont bien utilisées et l’autre est de faire migrer les fréquences attribuées par l’État à d’autres fréquences et de libérer une partie du spectre pour une utilisation commerciale et, enfin, de faire migrer les fréquences de radiodiffusion de l’analogique au numérique.
Sous l’autorité du gouvernement, le passage progressif vers un système mixte permettrait d’atténuer la pénurie des fréquences. Le gouvernement devrait continuer de réserver et d’attribuer des fréquences dans les zones qui ne peuvent pas se permettre d’interférences, comme la sécurité (naval, recherche spatiale, marine, etc.) Le gouvernement est déjà en train de réévaluer l’utilisation des anciennes attributions et de réattribuer de nouvelles fréquences plus efficaces. « Le régulateur des télécommunications, la Commission des communications du Kenya (CCK), un organisme d’État qui attribue les fréquences et les licences aux opérateurs, pourrait délimiter une partie du spectre qui serait consacrée aux services sociaux et une autre permettant aux opérateurs d’accéder au spectre à des tarifs commerciaux et de détenir des droits propres à leur spectre », explique Mureithi. Le régulateur kenyan travaille déjà à la libération progressive de certaines parties commerciales du spectre en vue de ventes aux enchères aux prix du marché, ainsi qu’à la libération de fréquences pour les ouvrir, de sorte que nous pouvons espérer qu’un modèle de gestion du spectre mixte prendra forme progressivement.
M. Muriuki Mureithi est un consultant indépendant en TIC basé à Nairobi au Kenya. Il a travaillé pour les Postes et Télécoms du Kenya et à été consultant pour des organismes des Nations Unies, des gouvernements, la société civile, des opérateurs de services et des fournisseurs de l’industrie. Ses principaux projets ont concerné le développement des TIC en milieu rural, la réforme de la réglementation, l’analyse du marché et les questions de concurrence dans les marchés d’Afrique orientale et centrale avec SummitStrategies Ltd, qu’il a fondé il ya dix ans. Il prépare actuellement un doctorat portant sur l’harmonisation et l’intégration des TIC dans la Communauté est-africaine.
Cet article a été rédigé dans le cadre du projet d’APC sur le spectre ouvert pour le développement, qui cherche à faire comprendre la réglementation du spectre en étudiant la situation dans plusieurs pays d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine.
Photo par Whiteafrican. Utilisé avec permission sous la licence Creative Commons 2.0