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2 August 2024 | Updated on 2 August 2024
Le problème

La force des institutions démocratiques et de l’ordre juridique est fortement connectée à la protection des droits humains. Les défis auxquels de nombreux pays sont confrontés dans leurs systèmes démocratiques et juridiques se traduisent par une multiplication des violations des droits humains. Les défenseuses des droits humains, qui comptent parmi les principales parties prenantes de la protection des droits humains, sont aujourd’hui de plus en plus la cible d’attaques physiques, numériques et juridiques, mettant leur vie et leur sécurité psychosociale en danger. Il est donc indispensable de créer des environnements plus sûrs pour apporter davantage de sécurité, en ligne et hors ligne, aux défenseuses des droits humains dans le monde entier, afin de protéger et de promouvoir les valeurs démocratiques et basées sur les droits humains.

Une résolution historique de l’assemblée générale des Nations Unies sur la protection des défenseuses des droits humains constate que « les inégalités historiques et structurelles qui caractérisent les rapports de pouvoir entre hommes et femmes et la discrimination envers les femmes, ainsi que diverses formes d’extrémisme, ont des conséquences directes sur la condition et le traitement des femmes et [...] les défenseuses des droits humains voient leurs droits violés ou bafoués et leur travail stigmatisé ». En outre, les réponses étatiques et politiques aux menaces que subissent les défenseuses des droits humains ne tiennent souvent pas compte des inégalités de genre et ignorent le fait que les inégalités structurelles historiques peuvent entraîner des violations systématiques. Le risque auquel les défenseuses des droits humains sont confrontées est ainsi exacerbé et les laisse sans soutien communautaire, pourtant essentiel, et face à un système juridique qui ignore les discriminations systématiques.

Des rapports soulignent « une prévalence accrue de la violence en ligne à l’égard des femmes, le manque de mesures efficaces pour la prévenir et la contenir, et l’impunité qui s’ensuit ». L’augmentation de la violence en ligne engendre de nouveaux défis politiques, mais les méthodes de gouvernance et de redevabilité des entreprises centrées sur les droits humains font toujours défaut et la législation des États est bien souvent orientée vers l’acquisition et le contrôle de données.

L’évolution des technologies numériques en tant que services essentiels pour fonctionner dans le monde actuel a également entraîné de nouveaux défis en matière de sécurité pour les défenseuses des droits humains. Des études indiquent que « l’internet et les outils et espaces numériques ont un profond impact sur l’ampleur des menaces et ont simultanément élargi et multiplié les types de surveillance et de harcèlement ». Les gouvernements sont connus pour leur utilisation des technologies de surveillance contre les défenseuses des droits humains, accédant également aux données des personnes qu’elles soutiennent et mettant ainsi en danger la sécurité des victimes de violations de droits humains. Outre la surveillance traditionnelle, le suivi des contenus et de l’expression numériques s’est également intensifié et sert souvent de base dans les affaires judiciaires intentées contre des défenseur·es des droits humains.

La Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur la situation des défenseuses des droits humains s’est déclarée préoccupée par les cas d’accusation de diffamation et dans certains cas, de blasphème, dénoncés par des défenseuses suite à la publication d’articles, de billets de blogue ou de tweets, ou l’expression d’opinions en public. Les réseaux sociaux présentent leurs propres dangers : en ligne, les attaques à l’encontre des défenseuses des droits humains sont « invariablement sexualisées et les défenseuses des droits humains courent davantage de risques en ligne (et hors ligne) que leurs homologues masculins. Les défenseuses des droits humains sont, sans exception, face à davantage d’hostilité, et sont en même temps moins protégées que leurs collègues masculins. » Les campagnes de désinformation genrée propagent souvent la haine, incitent à la violence et comportent des vidéos et des photos mettant en scène les défenseuses des droits humains de manière sexualisée. Elles rendent l’environnement en ligne hostile et constituent des menaces pour leur vie et leur sécurité.

Le changement que nous allons susciter

Sustaining Defenders through Feminist Holistic Security (Soutenir les défenseuses grâce à une sécurité féministe holistique) ou Safety for Voices, est une initiative mondiale basée dans le Sud global déployée par un consortium mené par l’Association pour le progrès des communications, avec ses partenaires Urgent Action Fund Africa, Urgent Action Fund Asia and Pacific et IM-Defensoras. L’initiative est centrée sur la réalisation de « davantage de sécurité, en ligne et hors ligne, pour les défenseuses des droits humains à travers le monde » et bénéficie du soutien du ministère néerlandais des Affaires étrangères.

L’initiative s’efforcera d’atteindre cet objectif grâce aux actions suivantes :

  • Éviter les risques et les situations dangereuses pour les défenseuses des droits humains en mettant à leur disposition des ressources de sécurité holistique.

  • Protéger les défenseuses des droits humains qui courent des risques immédiats, en temps de crise et dans les zones de conflit, en leur apportant des ressources et un soutien adéquats et opportuns.

  • Renforcer la légitimité du travail des défenseuses des droits humains par l’adoption, le renforcement et la mis en œuvre de lois et politiques pertinentes et par la création de structures officielles de soutien qui prennent en compte la dimension du genre.

Pour obtenir des résultats vers la réalisation de ces objectifs, Safety for Voices interviendra dans des espaces physiques, virtuels, juridiques et politiques, intégrant une approche féministe intersectionnelle dans les étapes de conception, de méthodologie et d’évaluation et en veillant à ce que les facteurs externes et internes qui contribuent aux défis en matière de sécurité des défenseuses des droits humains soient identifiés, documentés et traités.

En tant que consortium d’organisations menées par des femmes éclairé par un cadre de protection féministe holistique (PFH), le programme reconnaît les inégalités structurelles et systémiques fortement ancrées auxquelles les défenseuses des droits humains sont confrontées et s’attache en premier lieu à leur sécurité. Safety for Voices place ainsi la sécurité des défenseuses des droits humains du monde entier au centre de son travail en incluant non seulement les régions représentées par les membres du consortium, mais en élargissant également son champ d’action à des collaborations interrégionales en vue de créer des réseaux féministes plus forts.

Safety for Voices considère que la technologie est un élément essentiel à prendre en compte tant au niveau des capacités que des politiques. L’approche intégrée de la sécurité implique également d’accorder une attention particulière à la technologie, à la fois facilitatrice de la défense des droits humains et outil utilisé abusivement pour créer des défis de sécurité pour les défenseuses des droits humains. L’initiative bénéficie des décennies de travail pionnier d’APC aux intersections de la technologie et du genre, ainsi que de son expérience réussie d’interventions politiques pour lutter contre la violence basée sur le genre en ligne (VBG-L).

Safety for Voices souhaite également garantir que les voix des défenseuses des droits humains les plus vulnérables et marginalisées soient incluses. Les quatre membres du consortium travaillent principalement dans les pays du Sud global et disposent de larges réseaux de défenseuses des droits humains dans les différentes régions, leur donnant ainsi accès à des structures de connaissances et de soutien qui ne sont pas eurocentrées, mais bien au contraire ancrées dans les réalités vécues des défenseuses des droits humains. C’est pour toutes ces raisons que Safety for Voices a décidé que les défenseuses des droits humains des pays du Sud global seraient les principales bénéficiaires de son travail.

Un cadre de protection féministe holistique

L’approche de la protection féministe holistique (PFH) reconnaît que les défenseuses des droits humains promeuvent leur travail de défense des droits dans des conditions de discrimination et de violence basée sur le genre qui mettent en danger leur intégrité et leur capacité à soutenir les droits humains. Dans le cadre de cette approche, les risques et menaces s’entendent au sens large, et incluent à la fois les facteurs externes et les pratiques internes qui limitent la sécurité et la pérennité du travail des défenseuses des droits humains. La sécurité holistique englobe donc l’espace public et l’espace privé et considère les environnements physiques et numériques au sein desquels opèrent les défenseuses des droits humains comme faisant partie intégrante des éléments à prendre en compte pour leur sécurité. Une approche de PFH ne se limiterait donc pas à la fourniture d’équipements de sécurité ou de formations, mais œuvrerait activement à la création de cultures dans lesquelles la sécurité et le bien-être sont des éléments essentiels.

Cette approche de la sécurité implique « l’élaboration d’interventions multisectorielles à court et long termes pour les défenseuses des droits humains, qui incluent des services de santé, des suivis psychosociaux et un soutien financier. Elle inclut également la coordination entre différentes agences étatiques d’application de la loi et d’autorité judiciaire, en vue de mettre en place des initiatives de prévention, mener des enquêtes et mettre un terme à l’impunité. » En adoptant cette approche, Safety for Voices cherche à créer des ressources holistiques (physiques, numériques, juridiques, psychosociales) de soins, de sécurité et de soutien, incluant les enjeux de la transformation sociale afin de réagir aux menaces émanant de la discrimination, et à instaurer des solidarités entre mouvements et au-delà des frontières pour œuvrer à la transformation sociale.

Stratégies 

Le défi de la sécurité des défenseuses des droits humains est pluriforme et nécessite donc une solution pluridimensionnelle pour parvenir à une sécurité intégrée. Safety for Voices a établit cinq stratégies qui contribueront conjointement à atteindre le but et les objectifs prédéfinis. Ces stratégies comprennent le développement des connaissances, le soutien intermouvement et la création d’un réseau, le plaidoyer politique, l’accompagnement des défenseuses des droits humains et la protection des défenseuses des droits humains confrontées à des risques élevés.

A. Développement des connaissances pour le suivi et la documentation des menaces, la cartographie des tendances et l’inclusion de voix de défenseuses des droits humains authentiques et diverses en vue d’éclairer les programmes politiques. Les activités de ce domaine stratégique sont conçues pour contribuer à l’ensemble des objectifs principaux, en enrichissant la connaissance des contextes et des expériences des défenseuses des droits humains. En tant que consortium féministe, Safety for Voices reconnaît que la production de connaissances est un acte éminemment politique et puissant. La stratégie de développement des connaissances fournit la base à toutes les autres stratégies. La stratégie de développement des connaissances étudie également les défis de la sécurité numérique en profondeur. Alors qu’émergent de nouveaux défis, tels que la désinformation genrée et les discours de haine, il est indispensable de comprendre comment ces menaces interagissent avec les vies personnelle et professionnelle des défenseuses des droits humains, et comment celles-ci peuvent être soutenues de la meilleure manière.

B. Soutien intermouvement et constitution d’un réseau pour veiller à ce que les défenseuses des droits humains actives dans un large éventail de domaines soient en mesure de se rassembler en solidarité et en soutien, de s’impliquer dans des échanges de connaissances et de cocréer des solutions centrées sur leur sécurité. Les activités et productions de ce domaine stratégique contribuent directement à la sécurité de la communauté et faciliteront la création de communautés qui peuvent proposer des soins et du soutien. Cette stratégie permet également la création de réseaux de communautés pour les droits numériques, permettant à des défenseuses des droits humains issues d’un large éventail de mouvements d’intégrer la technologie en tant que facilitatrice de leur travail, tout en adoptant des pratiques numériques plus sûres. La sécurité des communautés est partie intégrante de l’approche de la PFH ; le soutien inter-réseaux et la mise en place de réseaux nous permettront de créer des connexions qui pourront continuer au-delà de la durée du programme et en renforcer la pérennité. Enfin, cette stratégie favorise les connexions avec d’autres parties prenantes, telles que les ambassades, les bailleurs de fonds étatiques et privés, les réseaux mondiaux d’organisations de la société civile proposant un soutien en matière de sécurité, et les entreprises. Ces connexions permettent au consortium d’aider les défenseuses des droits humains à se rapprocher d’un réseau de soutien plus large et à créer un espace de partage des connaissances et des apprentissages avec des actrices et des acteurs qui investissent des ressources en faveur de la sécurité des défenseuses des droits humains. 

C. Plaidoyer politique pour la création de pressions directes et indirectes sur les organes législatifs en vue d’améliorer les lois et les politiques de protection des défenseuses des droits humains. Par le biais de différentes activités de la stratégie de plaidoyer politique, le programme vise à contribuer à : a) la définition d’un programme, en aidant à formuler des standards et cibles permettant d’atteindre les objectifs de sécurité des défenseuses des droits humains ; b) la redevabilité des pays ayant mené des actions qui ont affecté négativement le travail et la sécurité des défenseuses des droits humains ; et c) le suivi des développements positifs et négatifs des engagements pris en faveur de la protection des défenseuses des droits humains. Dans le cadre de cette initiative, le changement politique est reconnu comme une voie indispensable vers le changement global. Avec cette stratégie, Safety for Voices souhaite veiller à ce que les connaissances provenant de sources autochtones et que les objectifs politiques provenant des recommandations des défenseuses des droits humains elles-mêmes soient inclus dans les recommandations en matière de droits humains et de politiques de l’ONU. Des activités similaires sont prévues aux niveaux régionaux et nationaux. Au niveau national, Safety for Voices soutiendra également les défenseuses des droits humains qui souhaitent exercer des pressions et plaider en faveur d’une augmentation de la sécurité des défenseurs des droits humains au sein de leur pays. Parmi les éléments soulignés dans le programme politique conjoint susmentionné, le plaidoyer se centrera principalement sur : a) les actions des États à l’encontre des défenseuses des droits humains, par le biais de la surveillance, de l’instauration de politiques régressives et punitives, de poursuites judiciaires stratégiques contre la participation citoyenne ou d’actions extrajudiciaires à l’encontre des défenseuses des droits humains ; b) l’impunité dont bénéficient largement les parties prenantes non étatiques qui ciblent les défenseuses des droits humains ; et c) la gouvernance et la redevabilité des grandes entreprises de la tech et des multinationales qui permettent, ou qui ne répondent pas de manière adéquate aux menaces et aux risques basés sur la technologie auxquels les défenseuses des droits humains sont confrontées.

D. Accompagnement des défenseuses des droits humains par le biais de multiples services et ressources de soutien, en complément de leur travail et en réponse à leurs besoins en matière de sécurité. Les activités dans ce domaine stratégique sont conçues pour apporter un soutien financier, technique, au niveau du renforcement des compétences, du plaidoyer et du développement communautaire, d’une manière tout à fait adaptée aux besoins de la communauté. L’ensemble des activités de cette stratégie est conçu pour répondre aux besoins spécifiques de la communauté. Cette stratégie est mise en œuvre par l’intermédiaire de deux instruments clés. Le premier est un programme de subventions secondaires grâce auquel les défenseuses des droits humains peuvent accéder à des fonds de formation, de recherche, de plaidoyer et de lobby en matière de sécurité holistique sur la situation des défenseurs des droits humains dans des régions et pays spécifiques, ainsi que pour des activités de renforcement de la résilience. Le second instrument est une plateforme virtuelle de sécurité numérique et psychosociale grâce à laquelle les défenseuses des droits humains et leurs organisations peuvent accéder à différents types de soutien. Cette stratégie inclut des ressources flexibles, polyvalentes et réactives, qui bénéficient également aux autres domaines stratégiques.

E. Protection des défenseuses des droits humains courant des risques élevés par l’instauration d’une couche supplémentaire de protection proposant des interventions rapides et le renforcement des compétences afin de contrer les dangers numériques. L’objectif clé est de veiller à ce que Safety for Voices puisse soutenir les défenseuses ayant un besoin urgent d’accéder à des ressources financières ou techniques pour gérer une situation présentant une menace immédiate pour leur vie ou leur sécurité physique, numérique ou psychosociale.

Les voix du changement 

Des espaces en ligne et hors ligne plus sûrs : La création d’espaces en ligne et hors ligne plus sûrs permettra aux réseaux de défenseuses des droits humains de travailler dans des conditions plus sécurisées, et contribuera à l’instauration d’un environnement global plus sûr. Le programme permet de créer des espaces en ligne plus sûrs par le biais de diverses activités, notamment le renforcement des capacités à éviter, contrer et résister aux menaces numériques ainsi que des actions de plaidoyer pour une redevabilité des entreprises au regard de la sécurité des défenseuses des droits humains. Le soutien apporté au renforcement de la résilience, au plaidoyer national et aux actions juridiques d’intérêt public aide les défenseuses des droits humains à plaider en faveur d’espaces plus sûrs où se rassembler et s’organiser, facilitant ainsi la création d’un environnement plus sûr.

Des collectifs de défenseuses des droits humains plus forts : La sécurité collective est un des principaux aspects du cadre de PFH. Les réseaux composés de défenseuses des droits humains dotées d’une compréhension approfondie des menaces sécuritaires peuvent être une voie vers le changement en matière de sécurité collective des défenseuses des droits humains. Safety for Voices crée de multiples occasions pour les défenseuses des droits humains de se rassembler, trouver des solutions collaboratives et créer des réseaux de soutien qui les aideront à prévenir les risques et les situations dangereuses.

Changements politiques et juridiques aux niveaux nationaux, régionaux et internationaux : Inclure les voix des défenseuses des droits humains et intégrer un programme de consensus politique au sein des recommandations politiques dans les instruments des droits humains et les espaces politiques de l’ONU permettra d’exercer des pressions sur les organes régionaux et les gouvernements nationaux, les incitant à être plus réactifs aux besoins et inquiétudes des défenseuses des droits humains. Safety for Voices travaille en ce sens en adoptant une approche éclairée et proactive de la mobilisation auprès des parties prenantes pertinentes à l’ONU et au sein des régions, contribuant ainsi à renforcer la légitimité du travail des défenseuses des droits humains.

Image de Gerry Popplestone sur Flickr, utilisée sous licence Creative Commons.