NETmundial a été un événement historique remarquable. Pour lui donner la place qui lui revient et poursuivre dans cette voie, il convient tout d’abord de reconnaitre les avancées obtenues et les lacunes qui subsistent.
Affirmation du « caractère public » de l’internet : Progrès et faiblesses
La Déclaration multipartite de NETmundial représente un progrès important envers la gouvernance de l’internet d’intérêt public. L’internet y est reconnu comme étant une ressource commune devant être gérée dans l’intérêt public. Les termes de « bien public », ou de « ressource publique, commune, mondiale » avancé par Neelie Kroes auraient été préférables, mais il s’agit néanmoins d’un très grand pas vers la protection du « caractère public » de l’internet.
La Déclaration affirme par la même occasion les valeurs d’ouverture et d’interopérabilité, « d’innovation sans permission », et le besoin de soutenir l’accès public à l’internet (l’une des priorités d’APC). Il est cependant décevant que la question de la protection des intermédiaires envers toute responsabilité n’aie pas été considérée comme une condition préalable à la protection de droits comme la liberté d’expression et d’association, mais aie été liée à « la croissance économique, l’innovation, la créativité et la libre circulation de l’information ». Ce texte exprime sans nulle doute les intérêts de l’industrie du divertissement. Pour APC, cette définition ouvre la porte pour que l’on exige que les intermédiaires de l’internet renforcent les droits de la propriété intellectuelle, interférant dans le même temps avec les droits de libre expression et d’accès au savoir.
Il n’y a pas eu consensus sur la question de la neutralité du réseau, ni sur le principe de libre circulation de l’information ou la non-discrimination dans la circulation des paquets de données sur le réseau. L’ironie dans ce résultat est que le principe a été consacré dans le Marco Civil da Internet brésilien (Cadre des droits civils pour l’internet), promulgués par la Présidente Dilma Rousseff à l’ouverture officielle de NETmundial. Bien entendu, les intérêts commerciaux ont eu leur part de responsabilité dans le fait que la neutralité du réseau n’aie pas pu être incluse en tant que principe, mais les débats ont été compliqués par la divergence des définitions qui cohabitent pour ce concept, et la diversité de ses applications selon le contexte. Nous applaudissons le fait que la feuille de route de la Déclaration de NETmundial identifie la neutralité du réseau comme un domaine nécessitant de plus amples débats, et espérons que le Forum sur la gouvernance de l’internet (FGI) reprenne ce sujet dans un avenir proche.
Nous aurions aimé voir plus de références au développement, à la justice sociale, à l’intégration des préoccupations des populations du monde en développement, et à la contribution de l’internet pour créer un monde plus juste et durable. Dans son discours d’ouverture, Nnenna Nwakanma prononçait ces paroles, source d’inspiration : « L’internet est en passe de devenir le principal créateur de richesses. Le « droit au développement » doit aller de pair avec la justice sociale. Il ne suffit pas de « renforcer les compétences » de quelques personnes isolées, superficiellement. Nous recherchons un mécanisme qui permette d’inclure le plus grand nombre de personnes, que le plus de voix puissent être entendues, que le plus grand nombre de talents aient accès à l’innovation, et que la créativité la plus profonde de l’esprit humain puisse prospérer. Pour y arriver, il faut commencer à considérer l’internet comme un bien public ».
Les drois humains s’appliquent aussi en ligne !
Au cours de NETmundial, les droits humains fondamentaux ont été identifiés comme étant les principes les plus importants de la gouvernance de l’internet. NETmundial a déclaré les gouvernements tout particulièrement responsables du maintien et de la protection des droits humains individuels sur l’internet. Nous applaudissons cette avancée, mais nous croyons également que la section de la feuille de route aurait dû spécifier de façon plus détaillée la protection des droits humains sous leurs aspects spécifiquement liés à l’internet – notamment les droits nécessaires pour garantir la liberté d’association et d’expression sur l’internet, comme le droit à l’anonymat et le droit au cryptage.
Renforcer la démocratie de la gouvernance multipartite de l’internet
Autre progrès de ce document, la reconnaissance du besoin de démocratie et de multipartisme dans la gouvernance de l’internet, l’un n‘étant pas forcément synonyme de l’autre. Des mécanismes nécessaires à la garantie de la responsabilité, de la révision et de la possibilité d’introduire un recours ont été identifiés, ainsi qu’un besoin d‘égalité de genre dans les débats et prises de décision.
La Déclaration multipartie de NETmundial renforce l’“Agenda de Tunis”:http://www.itu.int/wsis/docs2/tunis/off/6rev1.html en reconnaissant que les différentes parties n’ont pas toujours forcément un rôle défini, mais que ces « rôles et responsabilités des parties devraient être interprétés de façon flexible, selon la question en débat ». Ceci favorisera les débats constructifs sur les rôles spécifiques des parties prenantes selon leur place dans l‘écosystème de la gouvernance de l’internet, en fonction de la question et du processus en débat. Autrement dit, plutôt que de chercher à savoir si les gouvernements devraient ou non jouer un rôle, on s’attachera à chercher quel doit être ce rôle, et où et quand ces derniers sont le plus nécessaires.
Surveillance de masse : Une épine restée dans le pied
Le plus décevant restera le fait que la surveillance de masse n’ait pas été condamnée plus fermement dans la version définitive de la Déclaration, certains participants gouvernementaux ayant insisté à la dernière minute pour faire enlever du document la phrase « la surveillance de masse va fondamentalement à l’encontre du droit à la vie privée et au principe de proportionnalité ».
Si on rappelle que cet événement a eu pour origine le scandale dû aux révélations d’Edward Snowden, et que la surveillance de masse faisait partie des principales préoccupations dans les différents documents de travail, la meilleure description de ce qu’il s’est passé serait celle d’une épine au pied qu’on aurait commencé à retirer, mais qui y aurait été remise – par des forces suffisamment puissantes – avant la fin de l‘événement.
Le document déclare tout de même que « la surveillance massive arbitraire sape la confiance en l’internet et la confiance en l‘écosystème de la gouvernance de l’internet » et la coopération – qu’elle soit forcée ou volontaire – entre États et entreprises se fera à condition d’exiger que la « collecte et le traitement des données personnelles par des acteurs étatiques ou non devraient être réalisés conformément aux lois internationales des droits humains ». Cependant, cela ne concerne pas la protection des droits individuels dont la violation aurait eu lieu hors du territoire concerné.
Le document comporte également un nouvel appel aux États provenant de la Résolution de l’Assemblée générale de l’ONU de 2013 qui les invite à revoir « leurs procédures, leurs pratiques et leur législation relatives à la surveillance et à l’interception des communications, et la collecte de données personnelles, notamment à grande echelle, afin de défendre le droit à la vie privée en veillant à respecter pleinement toutes leurs obligations au regard du droit international ». Il s’agit là d’une voie ouverte pour que les activistes qui luttent pour les droits mènent avec détermination des actions de suivi.
Responsabilité de la IANA
Il est encourageant de voir que la question de l’Internet Assigned Numbers Authority (IANA) sera une composante à part entière des débats sur la transition de l’Administration nationale des télécommunications et de l’information (NTIA) aux États-Unis. Nous suivrons avec intérêt l‘évolution du processus une fois que les termes du processus de reddition de comptes seront publiés. Nous misons sur la mise en place d’un processus neutre de révision pour la transition responsable de la gérence de la IANA, avec une totale participation de toutes les parties et en considérant comme il se doit l’importance d’une séparation structurelle entre niveau politique et opérationnel.
Quelle question a-t-on évitée ?
L’absence la plus frappante au NETmundial, malgré quelques propositions pour soulever cette question, aura été le manque d’appel pour mettre fin à la militarisation croissante de l’internet. Cette question devrait absolument être abordée lors du processus du FGI.
Le processus de NETmundial : Avancées, leçons à tirer et laissés pour compte
Nous voulons dire combien nous apprécions le travail de l‘équipe qui a organisé le NETmundial, notamment CGI.br et le président de l‘événement, Virgilio A. F. Almeida, Secrétaire de la politique sur les technologies de l’information au ministère des Sciences, des Technologies et de l’Innovation du Brésil.
NETmundial a réalisé un pas de géant en ce qui concerne la prise de décision multipartite, la continuation d’habitudes multipartites inclusives prises lors des huit éditions du FGI, et les leçons utiles à tirer pour l’avenir. Il aurait fallu plus de temps et une meilleure plannification pour intégrer les propositions – reçues sur une excellente plateforme en ligne – dans le document final. Il aurait également été bon d’utiliser cet événement présentiel pour fomenter les débats plutôt que d’avoir des sessions à micro ouvert durant lesquelles ce qui avait déjà été dit en ligne était souvent répété. La rédaction d’un projet de document définitif aurait également pu être faite de façon plus systématique, pour garantir la présence de personnes ayant le savoir nécessaire dans ce domaine à la présidence des deux groupes de rédaction (Principes et Feuille de route).
Nous avons été déçus sur le fait qu‘à la fin, lors de la présentation du texte pré-définitif au Comité multipartite de haut-niveau, le processus a tout à coup perdu de sa formalité quand à la dernière minute, quelques gouvernements ont insisté pour modifier ou enlever certaines parties du texte qui les incommodaient. Il est compréhensible que les représentants des gouvernements doivent suivre les instructions de leurs capitales ou des accords qu’ils ont signés, mais pour faire avancer la démocratie dans la gouvernance mondiale de l’internet, il nous faut trouver la manière de passer outre ces restrictions au moment où on termine la rédaction de ce type de document non contraignant, car celles-ci ne servent qu‘à limiter les apports et l’influence des parties prenantes dont l’approche est plus équilibrée.
Si les gouvernements puissants, dont le point de vue coïncide souvent avec celui de certaines sections du secteur de l’internet, peuvent continuer à exercer leur droit de véto – même de façon informelle – à la dernière minute, alors il nous reste un long chemin à parcourir avant d’atteindre une gouvernance de l’internet réellement inclusive et démocratique. Les processus intergouvernementaux sont souvent critiqués pour leurs manques d’accords consensuels. C’est exactement ce que des processus de prise de décision multipartite et démocratique doivent tenter d‘éviter.
Que se passera-t-il maintenant ?
Nous avons de quoi nous réjouir. Un groupe de parties prenantes très hétérogènes s’est réuni pour élaborer un document commun ayant le potentiel de créer une approche des politiques liées à l’internet et à sa gestion qui soit plus solide, et plus axée sur les droits humains et l’intérêt public. Le gouvernement brésilien a montré une bonne grâce, un engagement profond envers les processus inclusifs et s’est placé en tête de file en acceptant de céder sur certaines questions et notamment sur la neutralité du réseau.
La question est, que se passera-t-il maintenant ? Comment continuer pour instaurer le bien dans le document de NETmundial et comment renforcer le FGI pour qu’il joue un rôle en ce sens ? La question de la surveillance sera bien entendu primordiale, avec l’engagement des gouvernement à tenir compte de l’appel à revoir toute collecte, traitement et surveillance de données à caractère personnel pour garantir le respect des normes de droits humains, notamment celles inscrites dans les principes de Necessary and Proportionate. La sensibilisation aux questions qui se cachent derrière le débat sur la neutralité du réseau est également un enjeu important, car elles sont le point de départ de nombreux problèmes fondamentaux liés au conflit d’intérêts avec les entreprises privées, ainsi que la promotion du caractère public de l’internet.
Et bien entendu, nous ne cesserons nos efforts que lorsque, comme le dit la déclaration, nous obtiendrons « un accès à l’internet universel, égal pour tous, à prix abordable et de bonne qualité » pour que tous puissent participer au débat sur un pied d‘égalité.