La République de Macédoine se classe parmi les pays européens les plus pauvres. Elle est non seulement isolée sur le plan géographique, enclavée qu’elle est, mais également sur les tableaux géopolitique et économique. Mais là s’arrêtent les généralités.
La Macédoine, c’est un endroit où depuis six ans, un gouvernement conservateur monopolise de plus en plus l’espace public : la participation des citoyens est atone, les associations contenues, les journalistes intimidés et les chercheurs, contrôlés. Les visions de société alternatives ou critiques restent en marge. Skopje, sa capitale, n’est pas exactement un repère pour libres penseurs, critiques sociaux et indépendants en tous genres. Cela ne veut cependant pas dire que des voix discordantes se font pas entendre.
Au fil des dernières années, les médias indépendants ont quitté l’imprimé et les ondes un après l’autre. Un exemple de taille est celui de la station de télé A1, dont les journalistes enquêtaient fréquemment sur les affaires de corruption et de probité de l’actuel gouvernement. Fermée en 2011 par les autorités, A1 a vu lui succéder A2 (en 2012), du même groupe média, qui a elle aussi dû fermer boutique. Les trois journaux de ce groupe, Shpic, Vreme et Koha, fermés. Mais là où les autorités semblaient avoir réussi à contrôler l’espace médiatique, elle se sont fait doubler sur la gauche par une péiade de médias internet.
Selon les plus récentes statistiques de l’Union internationale des télécommunications (UIT) http://www.itu.int/ITU-D/ict/statistics/explorer/index.html, le pourcentage de Macédoniens utilisant l’internet avoisine les 57%. Dans le comparatif européen, ce relativement bas pourcentage s’explique notamment par l’absence quasi généralisée des personnes âgées et de larges pans de population vivant en milieu rural. Ce n’est donc pas tout le monde, mais c’est un début.
Là où le soleil brille, c’est sur les réseaux sociaux. De ceux qui ont un accès à l’internet, 80% ont un profil Facebook ou Twitter. « Il y a là une opportunité », nous dit Bardhyl Jashari. Le directeur de la Fondation Metamorphosis n’a d’ailleurs fait ni un ni deux. Il a contacté des bailleurs de fonds, tels la fondation Soros, pour ne nommer que celle-ci et, a repris une vingtaine de journalistes récemment tombés en chômage. C’est ainsi qu’est né le portail en Macedonien Plusinfo.mk.
Puis, dans une floraison inattendue, d’autres médias indépendants sur internet sont venus redonner les lettres de créance à la liberté d’expression. Le portail en Albanais de journalistes et blogueurs Portalb.mk, puis les jeunes journalistes de Libertas.mk ont rapidement développé une communauté de lecteurs avides. En début d’année 2012, le groupe média derrière l’unique hebdomadaire indépendant, Fokus, a quant à lui réinvestit l‘écrit avec un quotidien du même nom.
Or, la bataille de l’espace public ne se joue jamais seule et le gouvernement a aussitôt lancé ses propres sites web d’information, avant d’annoncer qu’une nouvelle loi sur les média serait imposée bientôt. « Cette nouvelle loi, possiblement d’inspiration hongroise (ndlr : voir cet article pour référence : http://www.apc.org/fr/node/14153), nous inquiète car nous pensons qu‘à travers elle, le gouvernement va tenter de contrôler le net », dit Jashari depuis Skopje.
Il faut dire que le gouvernement de la République de Macédoine n’en est pas à sa première incursion sur le réseau des réseaux. Déjà en 2011, Metamorphosis et l’association locale « Comité d’Helsinki » ont eu à croiser le fer avec le gouvernement du Premier ministre Nikola Gruevski au sujet d’une controversée loi sur la communication électronique. Alors que le Comité d’Helsinki travaillait déjà sur les droits humains que sont la liberté d’expression et le droit à la vie privée, Metamorphosis lui a permis de maitriser les enjeux techniques au cœur du projet de loi. Le plat de résistance? La surveillance directe des communications électroniques par le gouvernement. D’abord battue en brèche, notamment à la suite du tollé provoqué par les organismes de la société civile, la loi est passée avec quelques amendements mineurs. La surveillance étatique de l’internet est désormais réalité dans ce petit pays du sud de l’Europe.
Il existe beaucoup d’associations et d’individus travaillant présentement sur les droits des femmes, les droits des lesbiennes, gais, bi-sexuels, trans-sexuels et queer et les droits des migrants, entre autres. Or, selon Jashari, ils n’utilisent que très peu le web pour amplifier leur message. Metamorphosis travaille donc avec ces associations pour trouver des façons d’augmenter la visibilité, ne serait-ce que par l’usage astucieux des réseaux sociaux et de l’internet. « Nous venons essentiellement en soutien technologique. Ceci dit, nous intervenons sur les droits humains en macédonien et en albanais à tous les jours, parfois même en anglais et en français ».
Celui qui s’exprime dans un français impeccable spécifie que l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme (liberté d’expression) ainsi que l’article 12 (droit à la vie privée) sont lses principaux chevaux de bataille. « Nous nous efforçons présentement à mettre ensemble les journalistes et membres d’associations civiles pour sensibiliser au sujet de la liberté d’expression sur internet et de ses limites, comme par exemple le discours haineux. Cela soutient selon nous la professionalisation des médias, tout en conférant de la visibilité aux associations », explique Jashari. Sur le respect à la vie privée, Metamorphosis produit à chaque année un rapport qui est notamment repris par l’ONG internationale Privacy International.
Hyperliens d’intérêt:
Charte des droits internet : https://www.apc.org/fr/node/6721/
Impact de l’internet sur les droits humains (infographique en anglais): http://www.apc.org/en/irhr/internet-human-rights
Metamorphosis : http://www.metamorphosis.org.mk
Médias indépendants : Plusinfo.mk; Portalb.mk; Libertas.mk; Fokus.mk
Rapport sur la vie privée en Macédoine 2010 (page 511) : http://bit.ly/OWMbvh