Aller au contenu principal

En Afrique du Sud, malgré une protection relativement bonne pour les intermédiaires de l’internet quant à la responsabilité qui leur est attribuée pour le contenu ou le comportement de leurs utilisateurs sur leurs plateformes et réseaux, ceux-ci ont un certain nombre de règles à respecter. Deux ans après la publication d’un rapport de recherche d’APC sur la responsabilité des intermédiaires en Afrique du Sud, APCNouvelles a interrogé les chercheurs Alex Comninos et Andrew Rens sur la situation actuelle du pays.

APCNouvelles : Quels nouveaux défis le pays doit-il relever en termes de responsabilité des intermédiaires ?

Alex Comninos : Le premier défi est l’article 77 de la Loi sur les communications et les transactions électroniques. Cet article régit les procédures de retrait et autorise l‘élimination de contenu sans aucune notification pour la tierce partie (le créateur de contenu ou le téléchargeur), sans lui donner la possibilité explicite de s’opposer à ce retrait. Toute personne qui souhaite faire retirer des propos dits sur elle sans motif légigime peut donc prendre contact avec le FSI, qui lui répondra et pourra accéder à sa demande de retrait, sans aucune obligation d’en informer l’auteur ou de lui donner la possibilité de se défendre.

APCNouvelles : Quels sont actuellement les enjeux liés à l’internet en Afrique du Sud ?

Alex Comninos : Cette question des retraits est un sujet important, ainsi que la violence à l‘égard des femmes perpétrée sur l’internet. Il y a aussi la question de l’Office du film et de la publication, qui peut être utilisé pour censurer pour des raisons politiques. C’est ainsi que la peinture “The Spear” (“Le fer de lance”) de Zuma, qui dépeignait le président à l’image de Lénine et avec une proéminence génitale, a d’abord été jugée inadaptée aux moins de 16 ans.

Le téléchargement de vidéos sur l’internet reste une zone très floue, puisque l’Office doit réviser et classer tous les contenus téléchargés dans le pays. Les intermédiaires, comme les fournisseurs d’accès ou de service internet, peuvent alors être tenus responsables pour la distribution « en toute connaissance de cause » de contenu censuré ou comportant une restriction d‘âge en vertu de la Loi sur les films et les publications. Je pense que les intermédiaires de l’internet devraient être exonérés de toute responsabilité et obligation pour avoir validé sans le savoir le contenu d’une tierce personne sur leurs réseaux.

Andrew Rens : Dans ce processus de réforme de la Loi sur les communications et les transactions électroniques, un certain nombre de questions juridiques requièrent une attention particulière et notamment les dispositions pour criminaliser certaines conduites liées aux ordinateurs. Les dispositions légales actuelles sont bien plus vagues et sujettes aux abus que celles qui ont été utilisées pour poursuivre Aaron Swartz. Mais presque tout le monde néglige ces questions.

Le secteur technologique se préoccupe principalement de la largeur de bande et de l’interconnexion. Le public s’inquiète surtout des responsabilités en cas de diffamation en ligne sur les médias sociaux. Les Sudafricains ont été choqués par deux jugements qui ont statué sur le manque d’impunité lors de diffamations dans les médias sociaux. Dans un cas, le juge a simplement exigé à la personne ayant posté le message de l’enlever, sans impliquer le fournisseur de service. Mais aucun de ces cas n’impliquait de commentaires anonymes ni même de paroles pouvant soulever la question de la liberté d’expression.

APCNouvelles : Quelle est la situation actuelle de la recommandation émise par la Commission nationale des droits d’auteur auprès de l’Association des fournisseurs de service internet (ISPA) au sujet d’une politique de la troisième faute ?

Alex Comninos : Par rapport à la proposition de déconnexion des récidivistes, le rapport de la Commission de révision des droits d’auteur recommandait de déconnecter les récidivistes lors de leur troisième tentative pour éviter les téléchargements illégaux portant atteinte aux droits d’auteur. On n’en a plus entendu parler, probablement en raison de sa baisse de popularité parmi les Sudafricains et les politiciens sudafricains, après avoir vu tant d’opposition dans le monde de la part des utilisateurs. De plus, mettre en place une politique de déconnexion pour le récidiviste n’est pas chose facile, puisqu’il faudrait pour cela modifier la Loi sur les communications et les transactions électroniques et d’autres législations en vigueur.

En ce qui concerne des solutions de remplacement pour les utilisateurs, il faut savoir qu’il existe très peu de façons de télécharger et de transmettre des vidéos légalement, comparé à ce qui se passe dans d’autres régions du monde comme en Europe ou aux États-Unis. Cela est dû à la législation et la réglementation de la diffusion en mode continu, qui devrait être réactualisée sur la question des droits d’auteur et l’autorisation simplifiée d’octroi de licences en ce sens.

APCNouvelles : Y a-t-il actuellement un autre organisme/groupe exonéré de toute responsabilité en vertu de la Loi sur les communications et les transactions électroniques, en dehors de l’ISPA ?

Alex Comninos : À ce que je sache, ceux qui ne sont pas membres de l’ISPA n’ont pas d’autres moyens d’exonération (avec des réglementations qui protègent les intermédiaires d‘éventuelles responsabilités) en Afrique du Sud.

Andrew Rens : N’importe quel fournisseur de services peut créer une association lui permettant d‘être exonéré (il n’y a aucune obligation de rejoindre l’ISPA), mais toute création d’association de fournisseurs de services doit être enregistrée auprès du ministère des Communications.

Bien-sûr, la responsabilité des fournisseurs de services sur nombre de choses pour lesquelles ils cherchent à être exonérés n’est pas très claire. Par exemple, la violation « indirecte » du droit d’auteur n’est pas comprise de la même manière en Afrique du Sud qu’aux États-Unis où elle est bien plus large ; il s’agit d’une petite liste d’actions très spécifiques, et il n’y a jamais eu de cas en Afrique du Sud où des FSI aient été considérés responsables. Il se peut que l’article 16 de la Déclaration des droits enlève toute responsabilité aux FSI [l’article 16 se rapporte à la liberté d’expression]. La justice n’a pas statué sur ces points.

Mais je suis préoccupé par le manque de préparation de la justice pour statuer sur ces questions, aucun organisme n‘étant chargé d’en vérifier la constitutionnalité et d’informer les tribunaux sur l’internet, notamment sur son rôle quant aux droits humains.

Il s’avère urgent pour l’Afrique du Sud de faire quelque chose similaire à l’Electronic Frontier Foundation (EFF) aux États-Unis, qui s’occupe des litiges liés à la liberté sur l’internet.

APCNouvelles: Depuis les recommandations de votre rapport, y a-t-il des nouveautés quant à la responsabilité conditionnelle pour les intermédiaires de l’internet qui ne sont pas membres de l’ISPA ?

Alex Comninos : Pour le moment les non-membres de l’ISPA ne peuvent avoir aucune responsabilité conditionnelle. Il n’y a encore eu à ma connaissance aucune réflexion à ce sujet.

APCNouvelles : Comment la réglementation actuelle incide-t-elle sur les citoyens ?

Alex Comninos : Je pense que les premiers effets ne sont pas encore visibles. Mais la plupart des intermédiaires qui offrent les services internet dont nous avons besoin ont une protection de base.

La seconde incidence est le manque de protection pour les citoyens qui créent du contenu, ils doivent donc contrôler les discussions sur leurs blogues et les autoréguler. Mais étant donné que presque toutes les plateformes habituellement utilisées [comme Facebook, YouTube et Twitter] se trouvent hors de l’Afrique du Sud, nous sommes soumis aux politiques du cadre légal et réglementaire des pays où elles sont hébergées et non aux notres.

APCNouvelles : Quelles en sont les conséquences sur votre utilisation de l’internet ?

Alex Comninos : La protection ou le manque de protection peut avoir un énorme impact sur la liberté des utilisateurs, au-delà des informations auxquelles ils peuvent avoir accès et de leur protection face à tout type de contenu préjudiciable sur l’internet.

APCNouvelles : En quoi cette question est-elle importante pour eux ?

Alex Comninos : Si les intermédiaires n’avaient pas une assurance responsabilité, ils auraient souvent trop peur pour héberger du contenu internet personnel. Il y aurait bien moins de contenus et nous n’aurions pas l‘économie du savoir et de la société de l’information que nous avons aujourd’hui.

Lorsque les intermédiaires peuvent souscrire à une assurance de responsabilité, l’internet peut être libre et ouvert. En plus, les mécanismes de responsabilité des intermédiaires permettent aux citoyens de se protéger de contenus indésirables, et en fin de compte de protéger leurs propres droits en ligne.

APCNouvelles : Pour quelles raisons les intermédiaires de l’internet d’Afrique du Sud ont-ils des réponses aussi insuffisantes pour lutter contre les différentes formes de violence envers les femmes liées aux technologies ?

Alex Comninos: Si on considère la violence à l‘égard des femmes en Afrique du Sud, il apparaît comme une évidence qu’on ne lutte pas très bien contre dans la vie réelle non plus, et les mêmes problèmes se posent aussi en ligne. Je pense que l’un des gros obstacles est le fait que les intermédiaires avec qui on traite ne soient pas d’Afrique du Sud et ne soient pas régis par la loi du pays.

Image by Darren Glanville via Flickr
.