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Charte des droits d’internet
Internet pour le développement durable et l‘équité
L’internet est est un espace public mondial qui se doit d‘être ouvert, abordable et accessible à tous. Tandis que de plus en plus de personnes ont accès à cet espace, beaucoup en restent exclus. À l’image du processus de mondialisation, avec lequel elle a été associée de près, la propagation de l’accès à l’internet s’effectue avec des résultats mitigés et souvent, exacerbe même les inégalités sociales et économiques. Par contre, l’internet et d’autres technologies de l’information et de la communication (TIC) peuvent être des outils puissants de mobilisation et de développement, de résistance aux injustices et d’expression des différences et de la créativité.
APC croit que notre habileté à partager de l’information et de communiquer librement à l’aide de l’internet est vitale à la réalisation des droits humains enchâssés dans la Déclaration universelle des droits de l’Homme (1948), le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (1976), le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (1976) et la Convention sur l‘élimination de toutes les formes de discrimination à l‘égard des femmes (CEDAW, 1981).
L’internet ne peut être qu’un outil pour l’autonomisation des peuples du monde si les prochains droits sont reconnus, protégés et respectés.
Thème 1 Accès à l’internet pour tous
Thème 2 Liberté d’expression et d’association
Thème 3 Accès au savoir
Thème 5 Vie privée, surveillance et chiffrement
Thème 6 Gouvernance de l’internet
Thème 7 Sensibilisation, protection et réalisation des droits
Thème 1: Accès à l’internet pour tous
ARTICLE 26, DUDH: DROIT À L’ÉDUCATION. L’ÉDUCATION DOIT VISER AU PLEIN ÉPANOUISSEMENT DE LA PERSONNALITÉ HUMAINE ET AU RENFORCEMENT DU RESPECT DES DROITS DE L’HOMME ET DES LIBERTÉS FONDAMENTALES.
1.1 L’impact de l’accès sur le développement et la justice sociale. L’accès abordable, rapide et facile à l’internet peut contribuer à créer des sociétés plus égalitaires. Il peut renforcer les services éducatifs et de santé, les entreprises locales, la participation citoyenne, l’accès à l’information et la bonne gouvernance et contribuer à l’éradication de la pauvreté. Mais il ne faut pas tenir pour acquis que toutes les innovations technologiques sont automatiquement bénéfiques. Les organisations de la société civile (OSC), les gouvernements et les régulateurs devraient être conscients du potentiel d’aggravation des inégalités que représente l’internet.
1.2 Le droit d’accès à l’infrastructure quel que soit l’endroit où l’on vit. L’internet est une infrastructure publique mondiale. Cette infrastructure doit être largement répartie et accueillir une largeur de bande suffisante permettant à chacun de faire entendre sa voix, d’améliorer sa vie et d’exprimer sa créativité. Chacun a le droit à une dorsale internet nationale bien répartie et connectée au réseau international.
1.3 Le droit aux compétences. Le savoir et les compétences permettent d’utiliser et de façonner l’internet pour qu’il réponde aux besoins de chacun. Les gouvernements locaux et nationaux, les organisations internationales et communautaires, ainsi que les entités du secteur privé doivent soutenir et promouvoir les possibilités de formation gratuites et à faible coût, ainsi que les méthodes et la documentation sur l’utilisastion de l’internet pour le développement social.
1.4 Le droit aux interfaces, au contenu et aux applications accessibles à tous («conception inclusive»). Les interfaces, le contenu et les applications doivent être conçus pour garantir un accès universel, y compris aux personnes ayant un handicap physique, sensoriel ou cognitif, aux personnes analphabètes et celles qui parlent des langues minoritaires. Le principe de conception inclusive et l’utilisation des technologies fonctionnelles doivent être promus et soutenus pour permettre aux personnes handicapées d’avoir les mêmes avantages que les personnes valides.
1.5 Le droit à l’égalité d’accès pour les femmes et les hommes. Dans beaucoup de pays, les femmes n’ont pas les mêmes possibilités que les hommes d’apprendre à utiliser l’internet, à le définir, à y accéder, à l’utiliser et à le façonner. Avant d’élargir l’accès, il faut reconnaître les inégalités de genre et y remédier. Les femmes doivent participer à part entière à tous les aspects du développement de l’internet pour garantir l’égalité de genre.
1.6 Le droit à un accès abordable. Les décideurs et les régulateurs doivent veiller à ce que chacun ait un accès abordable à l’internet. La construction de l’infrastructure des télécommunications et l’établissement des règles, de la tarification, des taxes et des tarifs devraient permettre à tous les groupes de revenus d’y accéder.
1.7 Le droit d’accès au travail. Le lieu de travail est souvent le seul endroit où beaucoup de gens peuvent accéder à l’internet. Les travailleurs et les employeurs doivent permettre la consultation de l’internet au travail, notamment dans le cadre des programmes d’éducation professionnelle et pour protéger les droits des travailleurs.
1.8 Le droit à l’accès public. Beaucoup de gens n’auront jamais un accès privé aux ordinateurs ou à l’internet. Il doit exister des points d’accès public, comme les télécentres, les bibliothèques, les centres communautaires, les cliniques et les écoles, où l’on peut se rendre à pied du lieu de travail ou du lieu de résidence, en particulier pour les jeunes dans les pays où l’accès à l’internet est encore impossible ou trop coûteux.
1.9 Le droit de consulter et de créer un contenu diversifié sur le plan culturel et linguistique. Les sites Web, les outils en ligne et les logiciels sont dominés par les textes en langues latines, ce qui limite la création d’un contenu local dans des langues autres et l’échange et la collaboration interculturels. Les techniques nouvelles devraient encourager la diversité linguistique sur l’internet et simplifier l’échange d’informations entre différentes langues.
Thème 2: Liberté d’expression et d’association
ARTICLE 18, DUDH: TOUTE PERSONNE A DROIT À LA LIBERTÉ DE PENSÉE, DE CONSCIENCE ET DE RELIGION
ARTICLE 19, DUDH: TOUT INDIVIDU A DROIT À LA LIBERTÉ D’OPINION ET D’EXPRESSION, CE QUI IMPLIQUE LE DROIT DE NE PAS ÊTRE INQUIÉTÉ POUR SES OPINIONS ET CELUI DE CHERCHER, DE RECEVOIR ET DE RÉPANDRE, SANS CONSIDÉRATIONS DE FRONTIÈRES, LES INFORMATIONS ET LES IDÉES PAR QUELQUE MOYEN D’EXPRESSION QUE CE SOIT
2.1 Le droit à la liberté d’expression. La liberté d’expression doit être protégée de toute ingérence des autorités et d’autres acteurs. L’internet est un moyen d’échange public et privé transfrontalier d’opinions et d’informations et chacun doit pouvoir y exprimer ses opinions et ses idées et échanger librement de l’information.
2.2 Le droit à la liberté de ne pas être censuré. L’internet doit être protégé de toute tentative de faire taire la critique et de censurer le débat ou le contenu social et politique.
2.3 Le droit de participer à des manifestations en ligne. Les organisations, les groupes et les particuliers doivent être libres d’utiliser l’internet pour organiser des manifestations et y participer.
Thème 3: Accès au savoir
ARTICLE 27, DUDH: TOUTE PERSONNE A LE DROIT DE PRENDRE PART LIBREMENT À LA VIE CULTURELLE DE LA COMMUNAUTÉ, DE JOUIR DES ARTS ET DE PARTICIPER À AU PROGRÈS SCIENTIFIQUE ET AUX BIENFAITS QUI EN RÉSULTENT
3.1 Le droit à l’accès au savoir. Le développement humain durable repose sur l’accès généralisé au savoir et à un fonds commun de savoir. L’internet permettant un partage et une création collaborative du savoir sans précédent, le milieu du développement devrait en faire une priorité.
3.2 Le droit à la liberté d’information. Les gouvernements nationaux et locaux et les organisations internationales doivent promouvoir la transparence en plaçant l’information qu’ils produisent et administrent dans le domaine public. Ils doivent s’assurer que cette information est diffusée en ligne dans des formats compatibles et ouverts et soit accessible aux usagers des technologies simples et aux personnes qui ne disposent pas du haut débit.
3.3 Le droit à l’accès à l’information publique. Chacun devrait pouvoir accéder gratuitement à toute l’information, y compris la recherche scientifique et sociale, produite avec l’aide des fonds publics.
Thème 4: Apprentissage et création partagés – logiciels libres et de source
ARTICLE 27, DUDH: TOUTE PERSONNE A LE DROIT DE PRENDRE PART LIBREMENT À LA VIE CULTURELLE DE LA COMMUNAUTÉ, DE JOUIR DES ARTS ET DE PARTICIPER AU PROGRÈS SCIENTIFIQUE ET AUX BIENFAITS QUI EN RÉSULTENT
4.1 Le droit de partager. L’internet offre un moyen extraordinaire de partager l’information et le savoir et d’adopter de nouvelles formes de création de contenu, d’outils et d’applications. Les fournisseurs d’outils, de services et de contenu internet ne devraient pas interdire l’utilisation de l’internet en vue du partage de l’apprentissage et de la création de contenu. La protection des intérêts des créateurs doit être conciliée avec la participation libre et gratuite à la circulation du savoir scientifique et culturel.
4.2 Le droit à des logiciels libres et de source ouverte (FOSS). Nous appuyons l’utilisation des logiciels libres et de source ouverte. Ce sont des outils d’habilitation et d’acquisition de compétences ; ils sont plus durables et encouragent l’innovation locale. Nous encourageons les gouvernements à élaborer des politiques et des règlements favorisant l’utilisation de ces logiciels, en particulier dans le secteur public.
4.3 Le droit à des normes techniques ouvertes. Les normes techniques utilisées sur l’internet devraient toujours être ouvertes pour permettre l’interopérabilité et l’innovation. Les nouvelles technologies devraient répondre aux besoins de tous les groupes de la société, en particulier ceux qui sont confrontés à des restrictions et des obstacles lorsqu’ils se connectent (notamment les communautés qui n’utilisent pas les langues latines, les personnes handicapées et ceux qui utilisent des ordinateurs anciens ou qui n’ont pas accès au haut débit).
4.4 Le droit à bénéficier de la convergence et du contenu multimédia. L’internet est une plate-forme multimédia. L’accès et la régulation doivent s’appuyer sur son potentiel d’utilisation pour diversifier la création et la propriété du contenu en ligne
sous de multiples formats, p. ex. radio et télévision communautaires.
Thème 5: Vie privée, surveillance et chiffrement
ARTICLE 12, DUDH: NUL NE SERA L’OBJET D’IMMIXTIONS ARBITRAIRES DANS SA VIE PRIVÉE, SA FAMILLE, SON DOMICILE OU SA CORRESPONDANCE, NI D’ATTEINTES À SON HONNEUR ET À SA RÉPUTATION
5.1 Le droit à la protection des données. Les organisations publiques ou privées qui ont besoin de renseignements personnels ne devraient recueillir que les données minimales nécessaires pendant la période minimale nécessaire. Ils ne doivent traiter les données que pour le but énoncé. La collecte, l’utilisation, la divulgation et la conservation de ces renseignements doivent respecter une politique transparente sur la protection de la vie privée, qui permet aux gens de savoir ce qui est recueilli à leur sujet et de corriger les renseignements inexacts. Les données recueillies doivent être protégées contre leur communication non autorisée et les erreurs de sécurité devraient être rectifiées sans retard. Les renseignements doivent être supprimés lorsqu’ils ne sont plus nécessaires aux fins pour lesquels ils ont été recueillis. Chacun doit être informé des possibilités d’utilisation malveillante des renseignements fournis. Les organisations sont responsables d’avertir les personnes concernées lorsqu’il a été fait mauvais usage des renseignements les concernant ou lorsqu’ils ont été perdus ou volés.
5.2 Le droit à la liberté de ne pas être surveillé. Chacun devrait pouvoir communiquer librement sans être menacé de surveillance et d’interception.
5.3 Le droit à l’utilisation d’un chiffrement. Les personnes qui communiquent par l’internet doivent avoir le droit d’utiliser des outils qui codent les messages pour que les communications soient protégées, privées et anonymes.
Thème 6: Gouvernance de l’internet
6.1 Le droit à une surveillance multilatérale et démocratique de l’internet. La gouvernance de l’internet devrait s’exercer de façon multilatérale et démocratique, avec la pleine participation des États, du secteur privé, de la société civile et des organisations internationales. Aucun gouvernement ne devrait jouer un rôle prééminent dans la gouvernance internationale de l’internet.
6.2 Le droit à la transparence et à l’accessibilité. Le processus décisionnel relatif à la gouvernance et au développement de l’internet devrait être ouvert et accessible, aux niveaux mondial, régional et national.
6.3 Le droit à un internet décentralisé, collaboratif et interopérable. Le développement technologique et la gestion des ressources de base de l’internet doivent être décentralisés et collaboratifs et faire en sorte que le réseau soit
interopérable, fonctionnel, stable, protégé, efficace et évolutif.
6.4 Le droit à une architecture ouverte. En tant que réseau de réseaux, l’internet est composé de nombreux réseaux interconnectés fondés sur le principe technique fondamental des réseaux en architecture ouverte, selon lequel il est possible d’intégrer n’importe quel type de réseau n’importe où et de le rendre public. L’architecture ouverte doit être protégée.
6.5 Le droit à des normes ouvertes. La majorité des protocoles internet sont fondés sur des normes ouvertes qui sont efficaces et fiables et peuvent être appliquées à l’échelle mondiale en n’étant assujetties qu’à peu ou pas de restrictions en matière de licences. Les spécifications des protocoles doivent être accessibles à tous gratuitement de manière à réduire considérablement l’entrée et permettre l’interopérabilité.
6.6 Le droit à la neutralité de l’internet et au principe du bout en bout. En raison de sa neutralité, l’information que véhicule l’internet, dont la principale fonction est le transport efficace de paquets, réside surtout dans les ordinateurs, les applications, les serveurs, les appareils mobiles et autres dispositifs en bout de réseau. Cette spécificité a permis le développement d’un large éventail d’activités, d’industries et de services internet ‘à destination’ et fait de l’internet un outil important dans le contexte général du développement économique et sociétal. L’internet retire une grande partie de sa force et de sa portée de la valeur de son effet réseau. Plus l’internet est accessible, plus son intérêt augmente comme moyen d’échange d’informations et de communication. Le principe du bout en bout et la neutralité de l’internet doivent être défendus contre les tentatives de création d’un internet à deux vitesses et d’un contrôle centralisé.
6.7 Le droit à l’internet comme un tout intégré. Cette interopérabilité centralisée fait partie de l’intérêt de l’internet comme bien public international et ne devrait pas être fragmentée par des menaces de création d’intranets nationaux, l’utilisation de filtres de contenu, une surveillance injustifiée, l’invasion de la vie privée et des restrictions à la liberté d’expression.
Thème 7: Sensibilisation, protection et réalisation des droits
7.1 Le droit à la sensibilisation, à l’éducation et à la protection des droits. Les droits des personnes en tant qu’usagers de l’internet doivent être protégés par les déclarations des droits humains internationales, le droit et les politiques. Les organes directeurs nationaux, régionaux et internationaux doivent diffuser gratuitement l’information sur les droits et les procédures liés à l’internet. Tous les utilisateurs de l’internet doivent donc être informés de leurs droits ainsi que des mécanismes de recours en cas d’atteinte à ces droits.
7.2 Le droit à un recours en cas d’atteinte aux droits. Chacun doit avoir accès librement à des mécanismes de recours efficaces et responsables en cas d’atteinte aux droits. Lorsque les droits des personnes et de l’internet sont menacés par un contenu sur l’internet, par une surveillance illégale, par des limites à la liberté d’expression et à d’autres droits, les parties devraient pouvoir utiliser ces mécanismes pour se défendre.
À propos de cette charte
Cette charte a d’abord été développée en 2001-2002 par les membres et organisations partenaires d’APC lors d’ateliers portant sur les “Droits de l’internet” et tenus en Europe, en Asie, en Amérique latine et en Afrique. Les thèmes et principes exposés expriment les points de vue et buts de notre communauté relatifs aux des droits des peuples et organisations à disposer de l’internet librement, particulièrement dans leur travail en faveur d’une justice sociale, économique et environnementale. Nous nous référons spécifiquement à l’internet; cependant, ces principes s’appliquent avec pertinence à toutes les autres TIC (incluant la téléphonie, la radio et autres).
La charte n’est pas exhaustive. Elle met en lumière certains enjeux significatifs que les individus, les organisations de la société civile, les médias communautaires et les politiques et régulateurs doivent prendre en considération dans leur effort de protection du droit de communiquer librement via l’internet et de réaliser le potentiel des humains à créer un monde plus informé et juste.
À l’origine, la charte a trouvé sont inspiration et s’est associée à la “People’s Communication Charter” (Charte de la communication par et pour les peuples) et la déclaration suivante “A Global Movement for People’s Voices in Media and Communication in the 21st Century” (un mouvement mondial pour des voix populaires dans les médias et la communication du 21è siècle).
Cette version révisée de la charte vise essentiellement à ramener en son sein des enjeux de gouvernance de l’internet soulevés à l’occasion du Sommet des Nations unies sur la société de l’information (SMSI) et articulés dans le rapport du Groupe de travail sur la gouvernance de l’internet, ainsi que la Déclaration de Tunis sur la Société de l’Information. La charte s’inspire également de la discussion autour de l’internet comme bien public, qui a eu lieu lors des délibérations du SMSI, tout comme au “UN ICT Task Force” (groupe de travail des Nations unies sur les TIC). La révision prend également à son compte les recommandations d’APC à l’endroit du SMSI et portant sur la gouvernance de l’internet.