Depuis le dernier Plan stratégique d’APC pour 2016-2019, de nombreux enjeux et tendances ont conservé toute leur pertinence. Cependant le contexte plus large dans lequel APC travaille a changé de telle manière que la jouissance des droits humains se trouve menacée et en particulier la capacité des femmes, des minorités marginalisées et des communautés vulnérables à faire entendre leurs voix, à contribuer au développement d’un monde plus juste et durable et à pouvoir en bénéficier.
Les gouvernements et les grandes entreprises sont de plus en plus souvent de connivence. Les États ont permis aux entreprises d’occuper des rôles publics, ce qui a augmenté le pouvoir de ces dernières. L’internet tel qu’il est actuellement « autorise les entreprises de médias sociaux à réguler chaque contenu – et elles fournissent aux gouvernements les objectifs de régulation et de surveillance » [10] qui se traduisent en un capitalisme de surveillance.
Dans un nombre alarmant de pays, des gouvernements populistes et autoritaires sont arrivés au pouvoir à l’aide des outils numériques, en coordination tacite voire explicite dans certains cas avec les géants des médias. Une fois au pouvoir, ces gouvernements populistes et autoritaires se sont servis des technologies pour supprimer les dissidences, faire reculer les droits humains et limiter le plaidoyer des femmes, des groupes de LGBTIQ et des communautés marginalisées. L’espace civique s’est réduit alors que les acteurs étatiques et non-étatiques malveillants aux idées racistes et xénophobes utilisent les technologies pour attaquer, menacer et nuire aux femmes, aux minorités et aux personnes migrantes.
Face à ce retour en arrière, les enjeux pour aller vers un monde juste et durable sont plus actuels que jamais, de même que les nouvelles menaces qui apparaissent avec le progrès des technologies.
En l’absence de politiques et de régulation pour restreindre les abus inhérents et l’exploitation des données personnelles dans un but privé et politique a pris des proportions autrefois inimaginables. La surveillance ciblée de masse de la part des gouvernements, facilitée par la surveillance des grandes entreprises associée à la transformation des informations personnelles en données, a altéré intrinsèquement le comportement des gens avec leurs gouvernements, les entreprises et entre eux. Ceci est dû à la progression rapide des technologies de vidéo surveillance comme les caméras à haute définition interopérables, les logiciels de reconnaissance faciale, les drones et l’utilisation indiscriminée des systèmes d’identification biométrique. L’utilisation de logiciels malveillants (malware) par l’État continue à permettre le suivi des communications électroniques des dissident·e·s politiques, des défenseur·e·s des droits humains, des journalistes, des activistes et des personnes ordinaires.
L’intelligence artificielle est appliquée à différents aspects de la vie des personnes, sans respecter les obligations de diligence raisonnable en matière de droits humains, ce qui met les personnes en danger d’être victimes de discrimination et de partialité sans recours possible, portant ainsi atteinte aux droits humains et aux institutions démocratiques. Les innovations technologiques ont également permis de mieux pouvoir manipuler les réalités numériques (par exemple, les vidéos « deepfake ») ce qui a conduit à la méfiance envers les véritables sources d’information.
Les cyber-attaques sont devenues plus sophistiquées et déstabilisantes ; elles visent les entreprises et les opérations d’infrastructures essentielles comme les hôpitaux, le système électrique, les institutions financières et les agences gouvernementales. Le droit au respect de la vie privée est menacé, les utilisateurs et utilisatrices des technologies numériques sont vulnérables et n’ont que des moyens limités pour protéger leurs droits. Les États doivent établir des règles de toute urgence pour éviter l’escalade des cyber-attaques et protéger ainsi tant la sécurité que les droits humains.
Malgré l’augmentation de la richesse mondiale, les inégalités persistent. [11] Selon une étude de la Banque mondiale, dans la plupart des pays qu’ils soient riches ou émergents, d’énormes transferts de richesses ont eu lieu depuis 1980 de la sphère publique vers le privé. Cette combinaison d’inégalités croissantes dans les revenus et de larges transferts de richesse publique vers le secteur privé a contribué à la montée en flèche des inégalités en termes de richesse. [12]
Les inégalités limitent les possibilités d’améliorer le bien-être et nuisent à la démocratie dans la mesure où le pouvoir favorise les élites au détriment des besoins des personnes ordinaires, et en particulier des femmes et des groupes minoritaires. La digitalisation des milieux de travail entraîne des conditions de travail précaires pour les travailleurs et travailleuses et les politiques publiques ne répondent pas de manière satisfaisante à cette situation. Les formations pour leur permettre de se mettre à jour tardent à suivre. Les innovations technologiques ont eu tendance à fragiliser leurs pouvoirs de négociation.
Le changement climatique a atteint des dimensions de crise et est devenu une menace pour la vie sur terre. L’informatisation a amplifié le problème avec une hausse de l’empreinte carbone et des déchets électroniques, une plus grande diffusion de la désinformation par les négationnistes du changement climatique, et la confusion semée sur la délibération de questions qui devraient pourtant se baser sur des preuves et les principes scientifiques. Il est devenu clair que les gouvernements et les institutions internationales n’agiront probablement pas à temps pour éviter une catastrophe climatique.
L’exclusion numérique persiste malgré les promesses tant vantées de connecter le milliard de personnes sans accès, et reste un frein pour les communautés pauvres, notamment en zone rurale. On observe partout un ralentissement dans la diversité des voix et le nombre d’utilisateurs et d’utilisatrices de l’internet, qu’il s’agisse d’abonné·e·s mobiles ou de pénétration de l’internet. Les stratégies déployées depuis des dizaines d’années ne répondent tout simplement pas aux besoins des milliards de personnes des pays en développement qui continuent à souffrir de l’exclusion numérique. Sans un accès adapté, ces personnes sont exclues des bénéfices sociaux et économiques qu’apportent la société et l’économie du numérique, et n’ont aucun moyen de bénéficier économiquement des technologies numériques, de se défendre ou de faire valoir leurs droits.
Les traits essentiels de ce nouvel environnement conditionnent la capacité d’APC et de ses partenaires à mobiliser personnes et ressources, et à mettre en place une réponse efficace à ces enjeux colossaux.