Aller au contenu principal
Photo: Eduard Lefler, CC BY-SA 2.0 (https://flic.kr/p/rtThD3)

Cet article a été originellement publié par ASUTIC.

Dans les principes fondamentaux de la société de l’information au Sénégal, celui de sécurité vise à garantir les droits fondamentaux des personnes et les droits sur les biens. (Article 6 de la LOI n° 2008-10 du 25 janvier 2008 portant loi d’orientation sur la Société de l’Information)

En d’autres termes, il ne peut être mis en place au Sénégal, au nom de la sécurité, un dispositif numérique qui remette en cause le respect du droit à la vie privée, y compris la confidentialité des communications et la protection des droits et libertés à l’égard de tout traitement de données à caractère personnel.

Sur le fondement de cette exigence légale, ASUTIC, en sus, de la signature de la déclaration conjointe de plus de 100 organisations de la société civile, appelle le Gouvernement du Sénégal, au moment ou les foyers de contamination au virus se multiplient dans le pays (cas communautaires), à recourir aux technologies de surveillance numérique dans le respect des droits humains.

Pour lutter contre le COVID-19, de nombreux pays font recours aux technologies numériques de surveillance des populations.­ Parmi celles-ci, le «­contact-tracing­», appelé aussi «­backtraking­» ou traçage numérique qui consiste à collecter et traiter les données des appels téléphoniques et de géolocalisation GPS des téléphones mobiles pour retracer les mouvements des individus testés positifs au Covid-19.

Ainsi, il est possible, non seulement, d’identifier les­ cas contacts qui doivent être mis en quarantaine de toute urgence, mais aussi de détecter les zones à risque où le virus pourrait se propager.

Les fondements juridiques ne font pas défaut au Sénégal pour justifier la mise en œuvre d’une telle technologie numérique d’identification des personnes ayant été au contact de personnes infectées.

En effet, la loi n° 2016-33 du 14 décembre 2016 relative aux Services de renseignement, votée dans le cadre de la lutte antiterroriste, permet au Gouvernement de surveiller la population pour notamment faire face aux menaces contre la sécurité et les intérêts fondamentaux de la Nation.

Même si une crise sanitaire n’est pas mentionnée explicitement, une menace contre les intérêts fondamentaux de la Nation, peut justifier aux yeux du Gouvernement le recours aux dispositifs techniques prévues par la loi de 2016.

En outre, les articles 90-11 et suivants de la loi n° 2016-30 du 24 novembre 2016 portant Code de procédure pénale mais aussi l’article 20 de la loi n°2018-28 du 12 décembre 2018 portant Code des Communications électroniques permettent au Gouvernement d’exiger la transmission par les opérateurs de téléphonie mobile des données de géolocalisation de leurs clients, sans le contrôle ou l’autorisation préalable d’un juge.

Cette collecte de données personnelles, par la mise en œuvre de ce cadre légal, serait, de surcroît, conforme à la loi n° 2008-12 du 25 janvier 2008 portant sur la Protection des données à caractère personnel.

En effet, les données de santé que révélerait une telle surveillance numérique des populations, peuvent bien être traitées, d’abord pour motifs qu’elles sont « nécessaires à l’exécution d’une mission d’intérêt public », article 41, alinéa 9 et ensuite qu’elles sont «­nécessaires à la promotion et à la protection de la santé publique y compris le dépistage­», article 43, alinéa 5.

Ainsi, tous les éléments juridiques sont déjà mis en place pour permettre au Gouvernement d’user de ces pouvoirs de surveillance, pour identifier les personnes ayant été en contact avec les personnes porteuses du virus.

Toutefois, nous n’avons, à ce jour, aucune information officielle permettant d’affirmer l’utilisation de ces pouvoirs démesurés de surveillance des populations, conférés par l’Assemblée Nationale depuis 2016, dans le cadre de la lutte contre le COVID-19.

Pour autant, la communication par le Ministère de la Santé du Sénégal du nombre de cas contacts suivis, qui étaient de 1875 au 15 avril 2020, révèle que la stratégie du traçage numérique a été adoptée par les autorités, en sus, du suivi de contacts traditionnel.

Aussi, se pose la question de la mise en place d’un tel dispositif de collecte et de traitement des données personnelles de géolocalisation à des fins de santé publique, sans risquer un impact disproportionné sur les droits humains, en particulier, sur la confidentialité et la vie privée des citoyens.

Il nous faut être particulièrement vigilant pour limiter le potentiel intrusif de ce dispositif pour préserver l’équilibre entre les droits individuels et l’intérêt général et mais surtout éviter le risque d’entrer dans une nouvelle ère de surveillance numérique invasive des citoyens.

D’abord, le Gouvernement du Sénégal doit se garder de penser que le numérique va tout résoudre, et ensuite, il doit s’inspirer du succès de pays démocratiques plutôt que de faire du copier-coller de mesures en provenance de pays totalitaires ayant des sociétés complètement différentes.

Cependant, le Gouvernement du Sénégal n’informe jamais la population quant à la façon dont il utilise concrètement ce cadre légal de surveillance, une totale opacité est entretenue.

Aussi, il doit s’engager à faire immédiatement la transparence sur toutes les mesures de surveillance numérique de la population mises en œuvre ou qu’il compte mettre en œuvre pour lutter contre la propagation du COVID-19.

Ainsi, elles seraient dûment examinées par les citoyens, pour limiter les risques d’abus qui découleraient des pouvoirs exorbitants que lui confère ce cadre légal, en attendant que les lois votées depuis 2016 au Sénégal, attentatoires aux droits numériques, soient battus en brèche.