Le contexte
Les espaces numériques font aujourd’hui partie intégrante de l’espace démocratique et civique, et en sont même une extension importante. Les Nations Unies l’ont affirmé à de nombreuses reprises, les droits en ligne doivent être protégés au même titre que ceux dont les personnes jouissent hors ligne. Et pourtant, il arrive que certains États détournent à leur profit les outils numériques et les espaces en ligne pour monter une attaque ciblée contre les défenseur·e·s des droits humains et les voix dissidentes, portant ainsi lourdement atteinte aux droits humains en ligne. Les États ont régulièrement recours à une législation contraignante, à travers notamment des lois relatives au numérique, pour réprimer toute dissidence. De telles pratiques ont ouvert la voie à l’intimidation, au harcèlement et à la surveillance des activistes et des défenseur·e·s des droits numériques en Asie du sud-est. En outre, la concentration du contrôle des contenus et de la compilation/l’utilisation des données autour d’acteurs spécifiques du secteur privé a rendu les utilisateurs et utilisatrices encore plus vulnérables, y compris les défenseur·e·s des droits humains et des droits numériques.
Selon une recherche menée par APC, le contexte de répression en ligne au Cambodge, en Indonésie, en Malaisie, au Myanmar et aux Philippines a de larges répercussions sur l’espace civique et démocratique. Les technologies y sont systématiquement utilisées pour faire taire, surveiller et harceler les dissidents, l’opposition politique, les défenseur·e·s des droits humains, les activistes et autres mouvements contestataires, et pour manipuler l’opinion publique. Dans ces pays, les gouvernements exigent fréquemment de couper l’internet et de bloquer certains sites web et plateformes avant chaque moment important de la vie démocratique, que ce soient des élections ou des manifestations. Le contexte de la COVID-19 n’a fait qu’empirer de telles pratiques répressives.
Depuis 2015, des consultations menées auprès des membres et partenaires d’APC de cette sous-région soulignent l’urgence d’un soutien pour les mouvements des droits numériques qui leur permette de se défendre face à la pression croissante exercée aussi bien par les États que les acteurs non-étatiques. Cela est d’autant plus vrai depuis la pandémie qui a placé le travail en réseau au cœur de toute action pour la justice sociale. De plus, face au secteur privé qui apparaît comme une nouvelle force de médiation en matière de droits, de vie privée et de modération de contenus, la société civile doit être capable de s’engager et de leur demander des comptes.
S’opposer à ce nouveau type de répression exige des efforts concertés et stratégiques. Les technologies évoluent, et pour mieux comprendre les espaces numériques et développer un réseau à même de soutenir la croissance de l’activisme des droits numériques, il faut associer certaines compétences spécialisées à l’activisme traditionnel. La région de l’Asie du sud-est reste à la traîne en matière d’engagement dans les processus de gouvernance en ligne et dans le développement de son système juridique relatif aux droits du numérique. Ce domaine encore embryonnaire souffre du manque d’acteurs dans l’écosystème des droits du numérique. Les nouveaux arrivés, y compris lorsqu’ils ont une certaine expérience dans la défense des droits humains, n’ont ni l’expertise ni les ressources nécessaires, si bien que les efforts pour contester les violations des droits numériques restent sporadiques et manquent de cohérence. Il est urgent de renforcer les capacités des défenseur·e·s des droits numériques, de les mettre en contact avec d’autres acteurs de cet espace, et de soutenir le travail des différents acteurs pour promouvoir une approche basée sur les droits humains aussi bien dans le plaidoyer que dans la formulation de politiques relatives aux technologies de l’information et des communications (TIC).
Comment pouvons-nous contribuer à modifier ce scénario ?
Pour veiller au renforcement nécessaire du mouvement des droits numériques dans la région, nous rassemblerons une cohorte de 15 organisations et individuels d’Asie du sud-est qui se présentent comme nouveaux arrivants dans le domaine des droits numériques de la région pour les amener à défendre et faire respecter les droits numériques. Notre théorie du changement comporte trois stratégies interconnectées : favoriser les rapprochements au sein de la cohorte à travers la mise en place d’un réseau, renforcer les capacités, et attribuer des ressources en soutien au travail de la cohorte, dans le but d’approfondir la compréhension des principales questions concernant aussi bien les droits numériques que les stratégies pour contre-attaquer et défendre ces droits. De telles mesures visent à terme à renforcer le mouvement en faveur des droits numériques de la région.
Le travail réalisé avec la cohorte sera axé autour des objectifs spécifiques suivants :
- Renforcement du mouvement : Resserrer les relations, favoriser les interactions et l’échange de savoirs entre les membres de la cohorte et d’autres défenseur·e·s des droits numériques de la région dans le but de renforcer le mouvement des droits numériques.
- Renforcement des capacités : Renforcer les capacités des membres de la cohorte pour les amener à mieux comprendre les questions liées aux droits du numérique et à s’engager dans un plaidoyer stratégique.
- Renforcement des ressources : Assurer aux membres de la cohorte la poursuite de leurs travaux par le truchement de petites subventions et de bourses qui favorisent l’apprentissage auprès d’autres organisations de la région et la réalisation d’activités telles que la recherche, le renforcement des capacités, le plaidoyer et la campagne politique.
Les membres de la cohorte suivront un processus de mentorat en quatre étapes axé sur le plaidoyer des droits numériques et la gouvernance en ligne, proposant des instances de renforcement de capacités à la fois en ligne et en présentiel. Cette approche graduelle pour renforcer le mouvement, les capacités et les ressources contribuera faire progresser les participant·e·s qui passeront d’un niveau élémentaire à un niveau intermédiaire puis avancé en matière de droits numériques. Les membres de la cohorte seront également amenés à mettre en pratique les compétences apprises en participant à différents processus de gouvernance de l’internet. La bourse facilitera pour les membres de la cohorte l’apprentissage à partir des expériences d’autres organisations dans ce domaine ; quant aux petites subventions, elles leur permettront de commencer à mettre en œuvre leurs propres projets de promotion des droits numériques dans la région. Tous ces éléments concourront à un mouvement des droits numériques plus solide dans la région de l’Asie du sud-est.