Qui peut faire entendre sa voix dans les espaces dédiés à l’élaboration de politiques et réglementations ? De quelles façons le genre affecte-t-il nos expériences dans ces espaces ? Comment pouvons-nous élaborer des politiques d’accès plus inclusives, diversifiées et axées sur la communauté ?
En octobre et novembre 2021, des défenseur·e·s des réseaux communautaires, des spécialistes de la gouvernance de l’internet et des militant·e·s des droits numériques d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine ont pu discuter de telles questions fondamentales dans le cadre de l’initiative SPACE (Plaidoyer sociopolitique pour l’engagement des réseaux communautaires). SPACE est un programme de mentorat dédié au renforcement des capacités et des mouvements. Il est mené par LocNet, l’initiative des réseaux d’accès locaux gérée conjointement par APC et Rhizomatica. L’objectif de ce programme de mentorat est de soutenir les femmes, les personnes de la diversité sexuelle et de genre, les personnes queer et les personnes trans à assumer des rôles de leadership dans la défense des réseaux communautaires.
La première édition de ce programme s’est déroulée sur huit semaines. Lors de cette période, les participant·e·s à SPACE se sont rencontré·e·s deux fois par semaine pour participer à des discussions animées par des femmes et des personnes non-binaires qui ont des expériences variées dans les domaines des droits numériques et du plaidoyer politique. Iels ont pu discuter des différentes facettes liées au plaidoyer pour des réseaux communautaires dans une perspective féministe intersectionnelle. Les discussions ont porté entre autres sur l’infrastructure, le partage du spectre, le rôle des femmes dans les réseaux communautaires, la gouvernance et les lois entourant les TIC, les réglementations du secteur des télécommunications, l’innovation technologique et le partage des connaissances.
De plus amples informations sur le programme SPACE ainsi que des ressources pertinentes sont disponibles sur ce wiki. Les citations présentées dans l’image ci-dessous illustrent l’expérience de quelques participant·e·s dans leurs propres mots :
Langue, genre et inclusion
En plus de prendre part aux dynamiques discussions, les participant·e·s à SPACE ont également été invité·e·s à animer les dernières séances du programme. Ces dernières étaient axées sur l’élaboration de stratégies pour l’avenir dans deux domaines majeurs : 1) la politique du genre et de la langue, et 2) le financement des services universels et les réglementations.
Au cours du programme, les participant·e·s ont témoigné du fait que les technologies numériques et les processus décisionnels sont généralement conçus par des hommes, sans tenir compte de la dimension du genre. Ces processus décisionnels sont le prolongement de la société. Ils reflètent souvent des siècles d’exclusion et de violences structurelles normalisées et liées à des facteurs tels que le genre, la race, la classe et la nationalité. Cette normalisation et ses violences se perpétuent notamment par le biais du langage. Les participant·e·s ont souligné que la langue était l’un des principaux moteurs permettant de créer des espaces plus inclusifs pour le plaidoyer politique en faveur des réseaux communautaires.
En s’appuyant sur leurs propres expériences, les participant·e·s ont donné des exemples concrets et simples qui pourraient être mis en place dans de nombreux forums multipartites, comme le fait de permettre aux individus de spécifier leurs pronoms ou d’abandonner des expressions uniquement au masculin (comme « les gars » ou « les mecs ») lorsqu’on s’adresse une assemblée. Ces exemples peuvent sembler anodins, mais en réalité lorsque certains termes sont répétés tous les jours et dans plusieurs espaces, cela peut créer un sentiment d’exclusion chez plusieurs personnes et cela peut limiter leurs possibilités d’assumer de nombreux rôles. Comme l’une des participant·e·s le soulignait, dans de nombreux pays, les médias font encore référence aux femmes comme des épouses ou des mères de quelqu’un d’autre. Il est important de prendre conscience que ces stéréotypes réducteurs sont constamment reproduits, afin de les dépasser et de construire des espaces politiques et de plaidoyer qui seront accueillants pour les communautés dans toute leur diversité.
Plan d’action
La présence, le soutien mutuel et la sensibilisation ont été présentés comme des moyens de construire un langage et des espaces plus accueillants et inclusifs pour les femmes, les personnes de la diversité de genre, les personnes trans et les personnes en situation de handicap. Le fait d’être présent·e, cependant, n’est pas une tâche facile lorsque nous reconnaissons toutes les discriminations et les violences qui sont normalisées et subies de manière répétée par certains groupes. Un autre élément d’action identifié consiste à s’engager collectivement à créer des espaces plus sûrs sur le plan mental et émotionnel, tout comme sur le plan physique, en tenant compte des contextes et des obstacles locaux et en tentant d’y remédier lorsque nécessaire.
La nécessité d’agir sur la question du financement fut également soulignée. Bien que les femmes aient un assez grand accès à des bourses de formation, le financement pour la mise en œuvre de projets est quant à lui limité. Les participant·e·s ont mentionné la nécessité de dépasser la mentalité du financement axé uniquement sur la formation, pour passer à un financement de projets dans lesquels les femmes jouent un rôle actif dans différents domaines.
En ce qui concerne le financement, les participant·e·s à SPACE ont également élaboré un plan d’action pour plaider en faveur d’une gestion et d’une allocation plus efficaces, équitables et transparentes des fonds affectés au service universel. Iels ont souligné que ces ressources devraient être mobilisées pour garantir une connexion universelle, afin que les gens soient capables de réaliser leurs aspirations et d’exercer les droits protégés par l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, qui stipule que : « Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit. »
Pour atteindre cet objectif, plusieurs mesures ont été identifiées, comme l’adoption d’une approche axée sur la communauté, la promotion du partage des connaissances ainsi que la recherche scientifique. Les présentations ont révélé que pour avoir des processus réellement participatifs, ceux-ci doivent s’efforcer activement de rendre les espaces accueillants pour tous et toutes. En outre, les processus participatifs sont essentiels à l’élaboration de politiques et de réglementations efficaces, car celles-ci doivent refléter la multiplicité des personnes qui créent des réseaux communautaires dans le monde entier.
Prochaines étapes
Le programme se poursuivra en 2022 par le biais d’un mentorat individuel entre les participant·e·s et certaines des personnes animatrices. Puisque ce programme offert en ligne, le premier en son genre, a été un succès en 2021, LocNet prévoit organiser une nouvelle édition en 2022.
Restez à l’affût! Nous publierons une série d’articles portant sur des manières de mettre en place une réglementation favorable en Afrique, en Asie et en Amérique latine dans une approche plus inclusive, diversifiée et axée sur la communauté. Pour en savoir plus sur SPACE, la défense des réseaux communautaires et les développements liés aux initiatives de connectivité communautaire, abonnez-vous à notre infolettre mensuelle sur les réseaux communautaires et l’accès local ici.
Vous pouvez également en apprendre davantage sur les réseaux communautaires dans une perspective féministe et inclusive dans le genre, grâce à l’édition spéciale de GenderIT.org intitulée : « Infrastructures de résistance : Les réseaux communautaires face à la crise mondiale » (en anglais).